Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/403

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Avant de m’occuper des faiblesses des hommes, il faut que je vous parle de la mienne pour la dernière fois. Fonsalbe, avec qui je n’aurais pas d’autres secrets, mais qui ne soupçonne rien de ceci, me fait sentir tous les jours, et par sa présence, et par nos entretiens où le nom de sa sœur revient si souvent, combien j’étais éloigné de cet oubli devenu mon seul asile.

Il a parlé de moi dans ses lettres à madame Del***, et il a paru le faire de ma part. Je ne savais comment prévenir cela, ne pouvant en donner à Fonsalbe aucune raison ; mais j’en suis d’autant plus fâché, qu’elle aura dû juger contradictoire que je ne suivisse pas ce que moi-même j’avais dit.

Ne trouvez point bizarre l’amertume que je cherche dans ces souvenirs, et les soins inutiles que je prends pour les éloigner, comme si je n’étais pas sûr de moi. Je ne suis ni fanatique, ni incertain dans ma droiture. Mes intentions me resteront soumises, mais ma pensée ne l’est pas ; et si j’ai toute l’assurance de l’homme qui veut ce qu’il doit, j’ai toute la faiblesse de celui que rien n’a fixé. Cependant je n’aime point ; je suis trop malheureux pour cela. Comment donc se fait-il... ? Vous ne sauriez m’entendre, quand je ne m’entends pas moi-même.

Il y a bien des années que je la vis, mais comme j’étais destiné à n’avoir que le songe de mon existence, il en résulta seulement que son souvenir restait attaché au sentiment de continuité de mon être. Voilà pour ces temps dont tout est perdu.

Le besoin d’aimer était devenu l’existence elle-même, et, le sentiment des choses n’était que l’attente et le pressentiment de cette heure qui commence la lumière de la vie. Mais si dans le cours insipide de mes jours, il s’en trouvait un qui parût offrir le seul bien que la nature contînt alors pour mon cœur, ce souvenir était dans moi