Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/405

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tant d’illusions. Je vous le répète, je ne veux point vous arrêter sur ces temps que l’oubli doit effacer, et qui sont déjà dans l’abîme : le songe du bonheur a passé avec leurs ombres dans la mort de l’homme et des siècles. Pourquoi ces souvenirs exhalés d’un long trépas ? ils viennent étendre sur les restes vivants de l’homme l’amertume du sépulcre universel où il descendra. Je ne cherche point à justifier ce cœur brisé qui vous est trop bien connu, et qui ne conserve dans ses ruines que l’inquiétude de la vie. Vous savez, vous seul, ses espérances éteintes, ses désirs inexplicables, ses besoins démesurés. Ne l’excusez pas, soutenez-le, relevez ses débris ; rendez-lui, si vous en avez les moyens, et le feu de la vie, et le calme de la raison, tout le mouvement du génie, et toute l’impassibilité du sage : je ne veux point vous porter à plaindre ses folies profondes.

Enfin le hasard le plus inattendu me fit la rencontrer près de la Saône, dans un jour de tristesse. Cet événement si simple m’étonna pourtant. Je trouvai de la douceur à la voir quelquefois. Une âme ardente, et tranquille, fatiguée, désabusée, immense, devait fixer l’inquiétude et le perpétuel supplice de mon cœur. Cette grâce de tout son être, ce fini inexprimable dans le mouvement, dans la voix !... Je n’aime point, souvenez-vous-en, et dites-vous bien tout mon malheur.

Mais ma tristesse devenait plus constante et plus amère. Si madame Del*** eût été libre, j’y eusse trouvé le plaisir d’être enfin malheureux à ma manière ; mais elle ne l’était point, et je me retirai, avant qu’il me devînt impossible de supporter ailleurs le poids du temps. Tout m’ennuyait alors, mais actuellement tout m’est indifférent. Il arrive même que quelque chose m’amuse ; je pouvais donc vous parler de tout ceci. Je ne suis plus fait pour aimer, je suis éteint. Peut-être serais-je bon mari ; j’aurais beaucoup