Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/41

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à mes yeux de formes spécieuses et d’une beauté pure et sans mélange plus fantastique encore ?

Ainsi, voyant dans les choses des rapports qui n’y sont guère, et cherchant toujours ce que je n’obtiendrai jamais, étranger dans la nature réelle, ridicule au milieu des hommes, je n’aurai que des affections vaines ; et, soit que je vive selon moi-même, soit que je vive selon les hommes, je n’aurai dans l’oppression extérieure, ou dans ma propre contrainte, que l’éternel tourment d’une vie toujours réprimée et toujours misérable. Mais les écarts d’une imagination ardente et immodérée sont sans constance comme sans règle : jouet de ses passions mobiles et de leur ardeur aveugle et indomptée, un tel homme n’aura ni continuité dans ses goûts ni paix dans son cœur.

Que puis-je avoir de commun avec lui ? Tous mes goûts sont uniformes, tout ce que j’aime est facile et naturel : je ne veux que des habitudes simples, des amis paisibles, une vie toujours la même. Comment mes vœux seraient-ils désordonnés ? je n’y vois que le besoin, que le sentiment de l’harmonie et des convenances. Comment mes affections seraient-elles odieuses aux hommes ? je n’aime que ce que les meilleurs d’entre eux ont aimé ; je ne cherche rien aux dépens d’aucun d’eux ; je cherche ce que chacun peut avoir, ce qui est nécessaire aux besoins de tous, ce qui finirait leurs misères, ce qui rapproche, unit, console : je ne veux que la vie des peuples bons, ma paix dans la paix de tous.

Je n’aime, il est vrai, que la nature ; mais c’est pour cela qu’en m’aimant moi-même je ne m’aime point exclusivement, et que les autres hommes sont encore, dans la nature, ce que j’en aime davantage. Un sentiment impérieux m’attache à toutes les impressions aimantes ; mon cœur plein de lui-même, de l’humanité, et de l’accord primitif des êtres, n’a jamais connu de passions person-