Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/410

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cette occasion, quelque encouragement à mes travailleurs : des musiciens furent appelés de Vevay. Une collation, ou, si on veut, un souper champêtre commençant à minuit, et assez varié pour être du goût des faucheurs même, fut destiné à remplir l’intervalle entre les travaux du soir et ceux du lendemain.

Il arriva qu’un peu avant la fin du jour je passai devant un escalier de six à sept marches. Elle était au-dessus ; elle prononça mon nom. C’était bien sa voix, mais avec quelque chose d’imprévu, d’inaccoutumé, de tout à fait inimitable. Je regardai sans répondre, sans savoir que je ne répondais pas. Un demi-jour fantastique, un voile aérien, un brouillard l’environnait. C’était une forme indécise qui faisait presque disparaître tout vêtement ; c’était un parfum de beauté idéale, une illusion voluptueuse, ayant un instant d’inconcevable vérité. Ainsi devait finir mon erreur enfin connue. Il est donc vrai, me disais-je deux pas plus loin, cet attachement tenait de la passion : le joug a existé. De cette faiblesse ont dépendu d’autres incertitudes. Ces années-là sont irrévocables ; mais aujourd’hui demeure libre, aujourd’hui est encore à moi.

Je m’absentai en prévenant Fonsalbe. Je m’avançai vers le haut de la vallée. Je marchais sans bruit dans ma préoccupation attentive. J’étais fortement averti ; mais le prestige me suivait, et la puissance du passé me paraissait invincible. Toutes ces idées d’aimer, et de n’être plus seul m’inondaient dans la tranquille obscurité d’un lieu désert. Il y eut un moment où j’aurais dit, comme ceux dont plus d’une fois j’ai condamné la mollesse : La posséder et mourir !

Cependant, se figurer dans le silence que demain tout peut finir sur la terre, c’est en même temps apprécier d’un regard plus ferme ce qu’on a fait et ce qu’on doit faire des dons de la vie. Ce que j’en ai fait ! jeune encore,