Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/430

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« La mort reste inconnue. Lorsque nous l’interrogeons, elle n’est pas là ; quand elle se présente, quand elle frappe, nous n’avons plus de voix. La mort retient un des mots de l’énigme universelle, un mot que la terre n’entendra jamais. »

Condamnerons-nous ce rêveur du Danube ? Mettrons-nous au nombre des vaines fantaisies de l’imagination toute idée étrangère à une frivolité dont la multitude ne veut pas sortir ?

Peut-être, dans ces moments où semble commencer une heure de sommeil dans les campagnes, vers midi, peut-être avez-vous éprouvé une impression indéfinissable, heureux sentiment d’une vie chancelante, pour ainsi dire, mais plus naturelle et plus libre. Tous les bruits s’éloignent, tous les objets échappent. Une pensée dernière se présente avec tant de vérité qu’après cette sorte d’illusion demi-vivante, imprévue et fugitive, il ne peut y avoir rien, si ce n’est l’entier oubli, ou un réveil subit.

Nous aurions à remarquer surtout de quoi se composent alors ces rapides images. Souvent une femme apparaît. Il ne s’agit pas de grâce ordinaire, de charme prolongé, de voluptueuse espérance. C’est plus que le plaisir, c’est la pureté de l’idéal ; c’est la possession entrevue comme un devoir, comme un simple fait, comme une entraînante nécessité. Mais le sein de cette femme exprime avec énergie qu’elle nourrira. Ainsi est accomplie notre mission. Sans trouble et sans regret nous pourrions mourir. Donner la vie et franchir, en fermant l’œil, les bornes du monde connu, voilà peut-être ce qu’il y a d’essentiel ici dans notre destination. Le reste ne serait qu’un moyen assez indifférent de consumer les autres minutes pour arriver au but.

Je ne dis pas que ce léger rêve, dans les instants dont nous parlons, que cette figure abrégée de la vie, au milieu du tranquille oubli de tant de choses, que cette paisible et puissante émotion soit la même chez la plupart des hommes. Je l’ignore ; mais enfin elle ne m’est pas particulière, sans doute.

Transmettre la vie et la perdre, ce serait dans l’ordre appa-