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LETTRE VIII.

Saint-Maurice, 14 septembre, I.

Je reviens d’une course de plusieurs jours dans les montagnes. Je ne vous en dirai rien ; j’ai d’autres choses à vous apprendre. J’avais découvert un site étonnant, et je me promettais d’y retourner plusieurs fois : il n’est pas loin de Saint-Maurice. Avant de me coucher, j’ouvris une lettre ; elle n’était point de votre écriture : le mot pressée, écrit d’une manière très-apparente, me donna de l’inquiétude. Tout est suspect à celui qui n’échappe qu’avec peine à d’anciennes contraintes. Dans mon repos, tout changement devait me répugner ; je n’attendais rien de favorable, et je pouvais beaucoup craindre.

Je crois que vous soupçonnerez facilement ce dont il s’agit. Je fus frappé, accablé ; puis je me décidai à tout négliger, à tout surmonter, à abandonner pour toujours ce qui me rapprocherait des choses que j’ai quittées. Cependant, après bien des incertitudes, plus sensé ou plus faible, j’ai cru voir qu’il fallait perdre un temps pour assurer le repos de l’avenir. Je cède, j’abandonne Charrières, et je me prépare à partir. Nous parlerons de cette malheureuse affaire.

Ce matin, je ne pouvais supporter la pensée d’un si grand changement ; et même je me mis à délibérer de nouveau. Enfin j’allai à Charrières prendre d’autres dispositions et annoncer mon départ. C’est là que je me suis décidé irrévocablement. Je voulais écarter l’idée de la saison qui s’avance et des ennuis dont je sens déjà le poids. J’ai été dans les prés ; on les fauchait pour la dernière fois. Je me suis arrêté sur un roc pour ne voir que le ciel, il se voilait de brumes. J’ai regardé les châtaigniers, j’ai vu des feuilles qui tombaient. Alors je me suis