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chrestomathie française

Crève, lumineuse, un manteau
D’aiguilles de pins et de branches.

L’Arno, comme teinté de sang,
Du sang d’une éternelle aurore
Va sous vos pieds, souple, glissant
Vers le couchant qui se colore.

Fermant l’horizon comme un mur,
Les montagnes ensoleillées
Donnent l’accord du rythme pur
Aux grandes strophes réveillées.


Poésies d’Albert Mérat (1866-1880) ; Vers le soir (1900) (Lemerre, éditeur, Paris.)



André THEURIET
Né à Marly-le-Roi en 1833, mort à Bourg-la-Reine en 1907.

L’école parnassienne compte un certain nombre de poètes rustiques qui se sont plu à chanter les forêts et les champs de leurs provinces natales. Dans ce groupe, André Theuriet est certainement le plus original et le plus sincère. Élevé lui-même a Tombre des grands bois de la Meuse, il a gardé de sa première enfance des souvenirs profonds et attendris de vie campagnarde qu’il a très bien exprimés dans ses vers. Un frais parfum de feuillée printanière sort de ses belles idylles, pleines de chants d’oiseaux, de joyeux murmures aériens et quelquefois de tristesses profondes. Theuriet est le Théocrite de la France. C’est là sa plus grande originalité, mais il a d’autres cordes à sa lyre ; il sait aussi chanter les sentiments de l’âme avec une délicatesse et une douceur qui n’excluent pas la force.

La plainte du bûcheron[1].


Dodo[2], l’enfant do ! — La forêt sommeille ;
Assis près d’un feu clair et réchauffant,
Un vieux bûcheron endort un enfant.
L’enfant a l’œil bleu, la lèvre vermeille ;
Le vieux est courbé, ridé, grisonnant…
« Dors, mon doux mignon, la forêt sommeille.

Dors, le plus beau temps est l’âge où l’on dort ! »
Une étoile luit, un vent léger passe.
L’aïeul se souvient qu’à la même place
Il berça le père :… « Ah ! d’un meilleur sort

  1. Extrait du recueil Le Chemin des bois (1860).
  2. Dodo est tiré du verbe dormir par une sorte d’onomatopée. Dans le langage enfantin, il signifie le sommeil ou le lit : faire dodo ; être dans son dodo.