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Page:Sensine - Chrestomathie Poètes, Payot, 1914.djvu/645

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émile verhaeren

Dieu m’a désaveuglé et c’est là la leçon.
Il a brisé devant mes yeux, comme une épave,
Le fier et blanc vaisseau, chargé de cargaisons
De myrrhe et d’encens pur, que tu me semblait être.
Les vents de ta fureur ont séché sur ton front
L’huile sainte dont se baignent nos fronts de prêtre,

DOM BALTHAZAR

Mon Dieu !

LE PRIEUR

Que si l’on te donnait Tu m’apparais plus nettement damné
Que si l’on te donnait du feu pour sépulture.
Jamais le souvenir de ton crime effréné
Ne calmera ces cris ; jamais prière en flamme
Ne descendra vers ton effroi.
Tu es le dernier mort, tu es la dernière âme
Pour qui, jamais, avec ferveur et foi,
Une messe sera chantée ; et cette crosse[1]

Il menace.

Que tu rêvas de soulever d’un poing viril,
Tiens ! Tiens !

Il l’appuie contre Balthazar.

Tiens ! Tiens !Ta chair la sentira rude et féroce,
Non comme un sceptre ardent, mais comme un bâton vil.

DOM BALTHAZAR

Frappez ! Frappez ! Frappez, mon père !

LE PRIEUR, (défaillant, il est soutenu par les moines

Impie ! Impie ! Impie !

Il laisse tomber sans le savoir la crosse de ses mains.

UN MOINE, (menaçant Balthazar)

Bourreau de Christ !

UN AUTRE

Voleur de repentir !

UN AUTRE

Braise d’orgueil éteint !

THÉODULE

Bandit ! Parricide ! Sacrilège !
 

Il pousse Balthazar du pied et le fait retomber la face contre terre.
  1. Bâton pastoral, signe de la dignité abbatiale ou épiscopale.