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valère gille

Les boucliers, les arcs, les cuirasses, les pagnes[1]
Se confondent. Une ombre envahit les campagnes ;
Le soleil s’obscurcit sous d’épais tourbillons,
Et, sept jours et sept nuits, passent des bataillons,
Sordides et hideux, pêle-mêle et sans nombre,
Traînant, comme un filet, avec eux la nuit sombre.
La terre a disparu sous eux ; et par moment
Leur tumulte, leurs cris et leur piétinement
D’un bout à l’autre font trembler toute l’Asie.


III

Impassible, au milieu de sa garde choisie,
Sur son quadrige d’or éclatant, le Grand Roi,
Le Maître devant qui la terre dans l’effroi,
Lorsqu’il commande, tremble et se tient en silence,
L’Irrésistible à l’œil de Dragon, dont la lance
Ébranlerait le monde, et dont les bras ouverts
Sur les peuples courbés étreindraient l’univers,
Xerxès, dont le cheval hennissait à l’aurore,
S’avance vers l’Hellas au rivage sonore.
Nul n’oserait braver sa colère. La mer
Un instant lui résiste, il lui dit : « Flot amer,
Que t’ai-je fait ? Sois donc docile à mes esclaves. »
Il la fouette, lui met une paire d’entraves,
Et la dompte en vainqueur sous le joug de ses nefs.
Ses troupeaux confondus, harcelés par les chefs,
Passent. Il marche avec la famine, et le fleuve
Où son bétail grouillant se repose et s’abreuve,
Quand sonne le départ, laisse à nu son limon.
Il a bu le Scamandre[2], il boira le Strymon[3].
Tous ont fui : le fracas de ses armes consterne
Ceux qui voudraient jeter au fond d’une citerne,
Égorger et livrer en pâture au corbeau
Les hérauts réclamant pour lui la terre et l’eau.
Nul cri de désespoir ou d’orgueil ne rallie
Les peuples affolés d’Hellas. La Thessalie
Implore, et la Doride envoie un vil présent.
Mais le Grand Roi poursuit sa marche, méprisant

  1. Morceau d’étoffe servant à couvrir le corps de la ceinture aux genoux.
  2. Fleuve de l’Asie mineure. Sortant du Mont Ida, il passait près de Troie. On l’honorait d’un culte religieux.
  3. Fleuve de la Macédoine. C’est sur ses bords qu’Orphée pleura Eurydice.