Page:Sensine - Chrestomathie Poètes, Payot, 1914.djvu/609

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
587
fernand séverin


Mais le petit enfant qu’une berceuse endort
Ne dort pas le sommeil qui suivra nos étreintes ;
Ce sommeil sera bon comme une bonne mort.

N’avez-vous entendu mon appel ni mes plaintes ?
Mon âme, désormais, contient de tristes fleurs :
Voici des lys fanés et des roses éteintes,

Et telle est, néanmoins, la vertu des douleurs !
Quelque ingénuité que mon âme ait perdue,
Ma douceur de naguère a grandi dans mes pleurs ;

Car je vous ai longtemps, bien longtemps attendue !



Campo Santo[1].

J’ai visité souvent cet humble cimetière :
Nul endroit n’est plus cher au passant douloureux
En ce pays de paix, de joie et de lumière
Où tout, jusqu’à la mort, a des aspects heureux.

Le vent, quand il y passe, est doux comme une haleine.
Il semble, tant son souffle est discret et léger,
Qu’il craigne d’éveiller les cœurs naguère en peine
Qui dorment à présent dans ce sol étranger.

Et son murmure, ici, n’a pas l’air d’une plainte ;
Il vague çà et là, sonore et musical ;
La paix de cet enclos, certes, n’est pas moins sainte
Pour ce que sa chanson y mêle d’idéal.

Tout sourit, en ce lieu… Cette ombre sans tristesse
Que versent aux tombeaux les beaux myrtes fleuris
Fait, autant qu’à la mort, penser à la jeunesse ;
Il croît sous les cyprès des roses et des lys.

On s’éloigne à regret, on songe avec envie
À tous ceux que la mort cueillit comme les fleurs,
Aux vierges, aux enfants, à ceux pour qui la vie
Fut un rêve incomplet qu’ils achèvent ailleurs.



Œuvres à lire de Fernand Séverin (Lacomblez, Dechenne, Bruxelles, et Fischbacher, Société du Mercure de France, Paris, éditeurs) : Le Lys (1888) ; Le Don d’Enfance (1891) ; Un chant dans l’Ombre (1895) ; Poèmes Ingénus (1899) ; La Solitude heureuse (1904) ; Poèmes (1908). — Critiques à consulter : Désiré Horrent, Les Écrivains belges (1904) ; Victor Kinon, Portraits d’auteurs (1910) ; Georges Rency, La Vie intellectuelle (15 avril 1913) ; Albert Heumann, Le mouvement littéraire belge d’expression française (1913).



  1. Extrait des Poèmes Ingénus. Campo Santo, en italien, veut dire le Champ Saint ou le cimetière.