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émile verhaeren

De pur, de grand, de juste, en ces Chanaans[1] d’or,
Qui surgiront, quand même, au bout du saint effort.
Ô vivre et vivre, éperdument,
En ces heures de solennel isolement,
Où le désir attise, où la pensée anime,
Avec leurs espoirs fous, l’existence sublime.

Lassé des mots, lassé des livres,
Je veux le glaive enfin qui taille
Ma victoire dans la bataille.

Et je songe, comme on prie, à tous ceux
Qui se lèvent, héros ou Dieux,
À l’horizon dé la famille humaine ;
Comme des arcs-en-ciel prodigieux,
Ils se posent sur les domaines
De la misère et de la haine ;
Les effluves de leur exemple
Pénètrent l’air, les murs, les clos, les temples,
Si bien que la foule, soudain,
Voulant aimer, voulant connaître
Le sens nouveau qu’impose, avec hauteur, leur être
Aux énigmes du destin,
Déjà sculpte son âme à leur image,
Pendant que disputent et s’embrouillent encor.
À coups de textes morts
Et de dogmes, les sages.

Alors, on voit les paroles armées
Planer sur les luttes et les exploits
Et, clairs, monter les fronts et, vibrantes, les voix
Et — foudre et or — voler au loin les Renommées[2] ;
Alors aussi, ceux qui réchauffaient leurs âmes,
Au vieux foyer des souvenirs,
L’abandonnent et saisissent l’épée en flamme
Et s’élancent vers l’avenir !

  1. La terre de Chanaan, la « terre promise » : ici, cela veut dire une sorte de paradis.
  2. Dans la Mythologie, La Renommée était la messagère de Jupiter ; on la représentait avec des ailes.