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chrestomathie française


À la gloire des cieux[1].

L’infini tout entier transparaît sous les voiles
Que lui tissent les doigts des hivers radieux
Et la forêt obscure et profonde des cieux
Laisse tomber vers nous son feuillage d’étoiles.

La mer ailée, avec ses flots d’ombre et de moire,
Parcourt, sous les feux d’or, sa pâle immensité ;
La lune est claire et ses rayons diamantés
Baignent tranquillement le front des promontoires.

S’en vont, là-bas, faisant et défaisant leurs nœuds,
Les grands fleuves d’argent, par la nuit translucide ;
Et l’on croit voir briller de merveilleux acides
Dans la coupe que tend le lac, vers les monts bleus.

La lumière, partout, éclate en floraisons
Que le rivage fixe ou que le flot balance ;
Les îles sont des nids où s’endort le silence,
Et des nimbes[2] ardents flottent aux horizons.

Tout s’auréole et luit du Zénith au Nadir[3].
Jadis, ceux qu’exaltaient la foi et ses mystères
Apercevaient, dans la nuée autoritaire,
La main de Jéhovah passer et resplendir.

Mais aujourd’hui les yeux qui voient scrutent là-haut,
Non plus quelque ancien Dieu qui s’exile lui-même,
Mais l’embroussaillement des merveilleux problèmes
Qui nous voilent la force, en son rouge berceau.

Ô ces brassins[4] de vie où bout en feux épars
À travers l’infini la matière féconde !
Ces flux et ses reflux de mondes vers des mondes,
Dans un balancement de toujours à jamais !

  1. Extrait de La Multiple Splendeur (1911), peut-être la plus belle œuvre du poète : jamais son symbolisme n’avait atteint une si grande profondeur et une si parfaite majesté.
  2. Ce mot, qui vient du latin nimbus, nuage, veut dire un disque doré placé derrière la tête des saints, du Christ, dans les tableaux ou une auréole ; ici, il a le sens de reflets d’or.
  3. Mots dérivés de l’arabe. Le zénith est le point où la verticale d’un lieu rencontre la sphère céleste, et le nadir, le point opposé de cette verticale passant par le centre de la terre.
  4. Cuve où l’on fait bouillir la graisse et l’huile dans une fabrique.