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Page:Serge - Carnets, 1952.djvu/16

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CARNETS

Encore sur la Russie : la magnifique jeunesse russe — et l’ambiance d’étouffement.

Je dis que je viens d’apprendre, il y a deux jours, l’arrestation à Léningrad de ma sœur Véra Vladimirovna Frolova, de ma belle-sœur Esther Roussakova, de l’un de mes beaux-frères, le musicien Paul-Marcel ou le marin Joseph. Ils sont apolitiques, accoutumés à vivre sous la peur. Je pense que ce sont mes écrits, sur les Lettres ouvertes, qui entraînent leur persécution. L’arrestation est du 6 septembre, au lendemain de l’exécution de Zinoviev-Kaménev-Ivan Smirnov, elle participe de la vague de terreur qui déferle. — J’explique qu’ayant tué les uns on ne peut plus regarder les autres dans les yeux ni supporter leur silence. Tout le vieux-parti comprend, il doit disparaître, il disparaîtra.

De l’impuissance des intellectuels. Que l’on peut se libérer pourtant de la complicité morale.

Pierre Herbart est entré pendant l’entretien. Beau garçon, élégant, le regard clair. Il a travaillé à Moscou à la Littérature internationale, il en garde un souvenir d’hypocrisie et d’étouffement.

Je pars tout à l’heure pour la Hollande.


Georges Lambert. Prisons russes.

27 janvier 37, Bruxelles. — Je connais G. Lambert depuis 1919. Nous le désignâmes en 20 secrétaire du Groupe Communiste Français de Pétrograd, bien qu’il ne fût qu’un rallié de la onzième heure. Il quitta le parti sous la nep. Marié, besogneux, fonctionnaire à la comptabilité du Syndicat des Pétroles, il habitait la même maison que moi, rue Jéliabova, mais du côté du Volynski péréoulok, en 25-30. Belge, fit des voyages à l’étranger ; en relations avec un consul britannique, devint suspect. Fit un peu de contrebande de parfums. Très surveillé, soupçonné d’espionnage. Ce n’était certainement pas un espion : trop faible et peureux, menant une vie retirée et inquiète, il ne pouvait évidemment