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CYRANETTE

lique ; Mme Daliot n’accepterait jamais les secondes fiançailles auxquelles prélude ce cruel pèlerinage, fait en commun, avec tant d’émotion et de recueillement, si l’une et l’autre n’avaient conscience que le moment est venu de les envisager sous peine de désobéir à la chère disparue.

Et quand le devoir — et le plus sacré de tous, l’exécution d’une volonté posthume — vient à l’appui de l’amour — et du plus pur, du moins égoïste des amours — le respect humain n’a le droit d’intervenir que pour assigner une durée suffisante aux manifestations de nos douleurs. Il n’eut pas été digne de Robert, encore moins de Nise, d’abréger leur deuil. Vouloir le prolonger indéfiniment serait se dérober à une obligation dont M. le curé, fidèle et persuasif interprète de la pensée de Liette, a su montrer la nécessité, comme la grandeur, comme la portée féconde et bienfaisante.

Robert demeurant veuf avec le double désespoir d’une affection à jamais perdue et d’un amour qui lui échappe ; Denise comprenant mal son rôle et s’obstinant dans une immolation stérile, ce seraient deux autres vies ruinées sans rémission. Tandis qu’en joignant leur foi, sa puissance souveraine leur est garante d’un bel avenir, harmonieux et lumineux.

Car, Liette l’a dit, entre eux son souvenir ne mettra pas d’ombre. Ils ne l’évoqueront pas comme un fantôme. Elle planera tutélairement sur leur bonheur. Elle ne sera plus la rivale de Nise, la première femme de Robert. Elle sera ce qu’elle a toujours été en somme pour eux, si précocement graves : une enfant, une chère petite âme d’enfant capricieuse et gâtée, que l’on regrette et que l’on pleure, mais que l’on sait heureuse aussi, là-haut, avec les anges…

Le temps est superbe aujourd’hui. Si Liette était encore de ce monde, elle ne reconnaîtrait plus le lugubre paysage qui, l’an dernier, à pareille