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LES APOCRYPHES.

trer la profondeur de son avilissement, que fait-il ? Il fait surgir devant le roi dégénéré la splendide figure du héros de Poitiers : « Je suis, s’écrie-t-il, le dernier des fils du noble Édouard, dont ton père, le prince de Galles, était le premier ! Dans la guerre, jamais lion furieux ne fut plus terrible, dans la paix, jamais tendre agneau ne fut plus doux que ne l’était ce jeune et princier gentilhomme. Sa figure, tu l’as, car il te ressemblait quand il était accompli par le nombre de tes années ; mais, lorsqu’il fronçait le sourcil, c’était contre les Français, et non contre ses amis ; sa noble main avait gagné ce qu’il dépensait, et ne dépensait pas ce qu’avait gagné le bras de son père triomphant ; ses mains, à lui, n’étaient pas souillées du sang de ses parents, mais rouges du sang de ses ennemis ! »

Dans cette belle apostrophe, le poëte, vous le voyez, rappelle avec chaleur les exploits d’Édouard III et du prince Noir. Mais ce n’est pas le seul souvenir qu’il leur consacre. — Lorsque Henry V, au lendemain de son couronnement, hésite à revendiquer ses droits au trône de France, savez-vous quel est l’exemple que Shakespeare propose à son favori ? L’exemple du vainqueur de Crécy ! L’exemple du vainqueur de Poitiers ! « Gracieux seigneur, dit l’archevêque de Cantorbéry, tournez vos regards sur vos puissants ancêtres ; allez au tombeau de votre bisaïeul de qui vous tenez vos titres ; invoquez son âme guerrière, et celle de votre grand-oncle, Édouard, le prince Noir, celui qui, dans une tragédie jouée sur la terre française, mit en déroute toutes les forces de la France, tandis que son auguste père, debout sur une colline, souriait de voir son lionceau s’ébattre dans le sang de la noblesse française… Évoquez le souvenir de ces vaillants morts, et avec votre bras puissant renouvelez leurs prouesses. Vous êtes leur héritier ; vous êtes assis sur leur trône ; le sang énergique qui les illustra coule dans vos veines ; et mon tout-puissant su-