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CENT DIX-HUITIÈME HISTOIRE TRAGIQUE DE BELLEFOREST.

qu’un de ses citoyens et sujets, le reconnaissant, vint lui faire la révérence, puis lui déclara le prix établi pour la délivrance de sa tête, ou morte, ou vive, au tyran Antiochus, le priant de se tenir sur ses gardes et se communiquer à peu de gens, étant impossible que, s’il allait et venait, quelqu’un ne le connût et qu’ainsi il ne fût livré à son adversaire. Ce qu’ayant dit, il se retira soudainement, laissant son prince effrayé de l’édit publié contre sa tête. Apollonie tout sur l’heure rencontra un des seigneurs de la cité de Tharse, appelé Stragulion, lequel avait été grand ami de son père, et qui était aussi de sa connaissance ; auquel s’adressant, et le saluent et lui ayant fait récit de son désastre, de sa prescription, et de la cause de celle, et de la grande injustice du roi syrien, le pria par même moyen de faire tant qu’il pût être en sûreté en cette ville, vu mêmement qu’elle n’était point de la sujétion ni appartenance de son adversaire.

— Monsieur, dit Stragulion, à la mienne volonté que la puissance correspondît à l’affection ; car vous pouvez vous assurer que les Tharsiens s’estimeraient bien heureux de vous secourir et loger en votre si urgente affaire ; mais nous ayant grand train, et cette région étant assaillie d’une extrême famine, telle que les pauvres citoyens ne voient aucun espoir de salut, ne sachant d’où prendre vivres pour leur nourriture, et comment serait-il possible qu’ils fournissent à votre maison, et que vous fussiez ici traité selon votre état et mérite.

Or disait-il ces paroles en soupirant et épandant larmes infinies, et pour la misère de ses concitoyens, et pour ne pouvoir gratifier Apollonie de ce qu’il requérait en une si urgente nécessité. Apollonie, d’une face gaie et riante, lui dit : — Eh quoi ! seigneur Stragulion, n’y a-t-il autre obstacle qui empêche que les Tharsiens ne reçoivent le prince de Tyr, sinon le défaut de vivres ?… Mon ami, essuyez ces