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LES APOCRYPHES.

son empoisonneur occulte. Dans le bourg même de Feversham, il y a un peintre, nommé Clarke, qui prétend pouvoir mêler a ses couleurs des drogues tellement délétères, que la vue seule d’un de ses tableaux suffit a tuer un homme.

En ce siècle-la, les mauvaises passions ont beau jeu. Il y a des moyens prêts pour tous les forfaits. Pas d’atrocité qui ne trouve son instrument. Comme pour stimuler le crime, l’exemple de la cruauté vient d’en haut. Rappelez-vous le procédé sommaire avec lequel sa majesté le roi Henry VIII fait disparaître une femme, quand il en veut une autre. — Un beau jour, sa seigneurie le comte de Leicester désire épouser lady Essex, qui est déjà mariée. Il n’hésite pas, il empoisonne lord Essex, et lady Essex, veuve improvisée, devient lady Leicester. Je cite ce fait entre mille. Si ces choses-la se font avec succès à la cour, comment ne se feraient-elles pas aussi à la ville ? Le mal, triomphant au sommet de la société, acquiert on ne sait quel effrayant prestige. La contagion de la violence, après les hautes classes, envahit les moyennes ; après les moyennes, les basses. La tragédie domestique, jouée dans le meilleur monde, passe fatalement sur la scène plus humble de la bourgeoisie et du peuple. Et c’est alors que le cas d’Arden de Feversham devient possible, et qu’on voit une petite provinciale, émule des plus grandes dames, assassiner son mari pour pouvoir épouser un valet.

Ce sinistre événement eut lieu en l’an 1551, sous le règne d’Édouard VI. Maître Arden avait été maire de sa ville natale ; il était inspecteur en chef des douanes ; il avait obtenu du roi la concession des terres de l’abbaye, vacantes depuis la sécularisation des couvents. C’était, comme on le voit, un personnage. Pour surcroît de fortune, il avait épousé la belle-fille de sir Édouard North, et se trouvait ainsi allié à la haute gentry de la province. Cette union, dont il était fier,