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LES APOCRYPHES.

Justement l’occasion était propice. La vieille salle, construite vingt ans auparavant dans la ruine du couvent des Frères Noirs, commençait à se lézarder. Les galeries de bois, destinées aux spectateurs, étaient visiblement fatiguées et usées ; le plancher de la scène menaçait de s’écrouler. Il était devenu urgent de restaurer complètement cet édifice où l’entassement de la foule pouvait, un jour ou l’autre, causer une catastrophe. Les puritains résolurent donc d’empêcher cette restauration ; ils colportèrent dans tout le quartier de Blackfriars, et ils firent signer par un certain nombre de notables une pétition demandant aux lords du conseil privé d’interdire formellement la reconstruction du théâtre de Blackfriars. Le théâtre, ne pouvant être rebâti, devait être fermé par raison de sûreté publique.

Cette manœuvre, comme on le voit, était ingénieuse. La clôture de la salle de Blackfriars une fois décrétée, la compagnie des serviteurs du lord chambellan n’avait plus de théâtre d’hiver ; elle ne pouvait plus exploiter que le théâtre du Globe qui, situé par delà la Tamise, et n’ayant pas de toiture, ne pouvait être utilisé que pendant les beaux jours de l’été. La compagnie devait donc nécessairement chômer durant la saison des pluies et des neiges, c’est-à-dire durant les deux tiers de l’année. Et ce chômage, c’était la ruine de la compagnie. Donc, si les puritains réussissaient cette fois, si la pétition inspirée par eux était agréée par le conseil privé, s’ils obtenaient un arrêt interdisant la restauration de la salle de Blackfriars, les comédiens du lord chambellan étaient tout bonnement réduits à la misère, et Shakespeare pouvait mourir de faim.

Telle était la portée de la mesure dévotement réclamée par les très-chrétiens disciples de Calvin. Heureusement la troupe du lord chambellan fut prévenue à temps de la pieuse conspiration qui s’ourdissait contre elle ; et, pour combattre la pétition signée des notables de Blackfriars,