Page:Shakespeare, apocryphes - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1866, tome 2.djvu/179

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
181
SCÈNE III.

édouard.

— Eh bien, assieds-toi près de moi, dans ce bosquet d’été, — et faisons-en notre salle de conseil, notre cabinet. — Puisque nos pensées sont en fleurs, que fleuri soit le retrait — où nous les déverserons à notre aise. — Maintenant, Lodowick, invoque quelque muse radieuse, — et prie-la de t’apporter ici une plume enchantée — qui, quand tu devras soupirer, te fournisse de vrais soupirs, — qui, quand tu exprimeras la douleur, te fasse exhaler de pathétiques gémissements, — qui, quand tu parleras de larmes, les exprime — en lamentations assez touchantes — pour arracher des pleurs aux yeux d’un Tartare — et pour attendrir le cœur de pierre d’un Scythe. — Car une plume de poëte a cette puissance d’émotion. — Donc, si tu es poëte, sois à ce point émouvant, — et inspire-toi de l’amour de ton souverain. — Si l’harmonieuse vibration des cordes à l’unisson — a pu forcer à l’attention les oreilles de l’enfer, — combien, a plus forte raison, les accents du génie poétique — doivent charmer et ravir les tendres âmes humaines !

lodowick.

— À qui, milord, dois-je adresser mes vers ?

édouard.

— À une créature qui humilie la beauté et rend sotte la sagesse, — dont la personne est un résumé, un abrégé — de toutes les vertus répandues dans le monde, — et qui est mieux que belle. Commence dans cette pensée. — Imagine pour sa grâce un mot plus gracieux que la grâce ; — tous les charmes que tu loueras en elle, — élève-les au-dessus de l’essor de la louange. — Car ne crains pas d’être convaincu de flatterie. — Quand ton admiration serait dix fois plus grande, — la valeur de l’être que tu as à louer — excéderait encore dix millions de fois la valeur de ta louange. — Commence ; je vais méditer pendant ce temps-là. — N’oublie pas d’expliquer quelle passion, — quelles peines de