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JULES CÉSAR.

strueuse ; alors vous arriveriez à concevoir que le ciel ne leur infuse cet esprit qui les agite que pour en faire des instruments de crainte et nous avertir d’une situation monstrueuse. Maintenant, Casca, je pourrais te nommer un homme semblable à cette effrayante nuit, un homme qui tonne, foudroie, ouvre les tombeaux et rugit comme le lion dans le Capitole, un homme qui de sa force personnelle n’est pas plus puissant que toi ou moi, et qui cependant est devenu prodigieux et terrible comme ces étranges bouleversements.

casca. — C’est de César que vous parlez : n’est-ce pas de lui, Cassius ?

cassius. — Qui que ce soit, qu’importe ? les Romains d’aujourd’hui sont, pour la taille et la force, pareils à leurs ancétres ; mais malheur sur notre temps ! les âmes de nos pères sont mortes, et nous ne sommes plus gouvernés que par l’esprit de nos mères ; notre joug et notre patience à le souffrir ne font plus voir en nous que des efféminés.

casca. — En effet, on prétend que les sénateurs se proposent d’établir demain César pour roi, et qu’il portera sa couronne sur mer, sur terre, partout, excepté ici, en Italie[1].

cassius. — Moi, je sais alors où je porterai ce poignard. Cassius affranchira Cassius de l’esclavage. C’est par là, grands dieux, que vous donnez de la force aux faibles ; c’est par là, grands dieux, que vous déjouez les tyrans. Ni la tour de pierre, ni les murailles de bronze travaillé, ni le cachot privé d’air, ni les liens de fer massif, ne peuvent enchaîner la force de l’âme ; mais la vie fatiguée de ces entraves terrestres ne manque jamais du pouvoir de s’en affranchir. Si je sais cela, que le monde entier le sache : cette part de tyrannie que je porte, je puis à mon gré la rejeter loin de moi.

  1. Traduction de Voltaire :

    Oui, si l’on m’a dit vrai, demain les sénateurs
    Accordent à César ce titre affreux de roi ;
    Et sur terre, et sur mer, il doit porter le sceptre,
    En tous lieux, hors de Rome, où déjà César règne.