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BEAUCOUP DE BRUIT POUR RIEN.
douleur pour douleur ; — qu’il ait mêmes linéaments, mêmes ramifications, même aspect, même forme ! — Si un tel homme peut sourire et se caresser la barbe, — dire au chagrin : Décampe, et crier hem ! au lieu de sangloter, — s’il peut raccommoder sa douleur avec des proverbes et soûler son infortune — en compagnie de brûleurs de chandelle, amène-le-moi, — et je gagnerai de lui la patience. — Mais un tel homme n’existe pas. Vois-tu, frère, les gens — peuvent donner des conseils et parler de calme à une douleur — qu’ils ne ressentent pas ; mais, dès qu’ils l’éprouvent eux-mêmes, — vite elle se change en passion, cette sagesse qui — prétendait donner à la rage une médecine de préceptes, — enchaîner la folie furieuse avec un fil de soie, — charmer l’angoisse avec du vent et l’agonie avec des mots ! — Non ! non ! c’est le métier de tout homme de parler de patience — à ceux qui se tordent sous le poids de la souffrance ; — mais nul n’a la vertu ni le pouvoir — d’être si moral, quand il endure — lui-même la pareille. Donc ne me donne plus de conseils : — ma douleur crie plus fort que les maximes.
ANTONIO.

— Ainsi les hommes ne diffèrent en rien des enfants ?

LÉONATO.

— Paix, je te prie ! je veux être de chair et de sang : — il n’y a jamais eu de philosophe — qui ait pu endurer avec patience le mal de dents, — bien que tous aient écrit dans le style des dieux, — et fait la nique à l’accident et à la souffrance.

ANTONIO.

— Au moins ne faites pas peser sur vous-même toute la douleur ; — faites souffrir aussi ceux qui vous offensent.