Page:Shakespeare - Œuvres complètes, Laroche, 1842, vol 1.djvu/33

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
7
ACTE I, SCÈNE II.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

effet me faisaient partir à la hâte avec ma fille toute en pleurs.

MIRANDA.

Ô pitié ! puisque j’ai oublié comment j’ai pleuré ce malheur, je vais de nouveau le pleurer maintenant. Votre récit m’arrache des larmes.

PROSPÉRO.

Écoute-moi encore un moment, et je vais en venir à ce qui nous occupe en cet instant, sans quoi le récit que je viens de te faii’e serait sans objet.

MIRANDA.

Pourquoi ne vous ont-ils pas fait mourir alors ?

PROSPÉRO.

Bien demandé, ma fille ; mon récit provoque cette question. Ma chère enfant, ils n’ont point osé (tant mon peuple me portait d’affection ) ; ils n’ont pas voulu imprimer à cet événement un cachet de sang ; mais ils ont revêtu leurs coupables fins de couleurs plus plausibles. En somme, ils nous firent entrer à la hâte dans une barque qui nous transporta à quelques lieues en mer ; là ils avaient préparé un bateau délabré, une carcasse pourrie, dépourvue d’agrès, de voiles et de mât ; les rats eux-mêmes l’avaient instinctivement quitté : c’est là qu’ils nous placèrent, nous laissant mêler nos cris aux mugissements de la mer, et nos soupirs au souffle des vents, dont la voix plaintive semblait s’attendrir sur nous.

MIRANDA.

Hélas ! quelle cause de douleurs je fus alors pour vous !

PROSPÉRO.

Oh ! tu fus, au contraire, l’ange qui me sauva ! animée d’une céleste fortitude, tu souriais, toi, tandis que moi, succombant au poids de mes maux, je mêlais à la mer l’amertume de mes pleurs : ce fut ton aspect qui me rendit le courage et me donna la force de faire face à tout ce qui pourrait advenir.

MIRANDA.

Comment atteignîmes-nous le rivage ?

PROSPÉRO.

Par la permission de la divine Providence. Nous avions quelques vivres et un peu d’eau douce, grâce à l’humanité d’un noble Napolitain, nommé Gonzalve, chargé de présider à l’exécution de cette mesure ; il nous avait aussi laissé de riches vêtements, du linge, des étoffes et d’autres objets nécessaires, qui depuis nous ont été d’un grand secours ; sachant combien j’étais attaché à mes livres, il avait eu l’attention de me fournir des volumes tirés de ma bibliothèque, et que je prisais plus que mon duché.

MIRANDA.

Puissé-je voir un jour cet homme !

PROSPÉRO.

Maintenant je me lève : toi, reste assise et écoute la fin de mes malheurs sur mer. Nous arrivâmes dans cette