Aller au contenu

Page:Shakespeare - Œuvres complètes, Laroche, 1842, vol 1.djvu/40

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
14
LA TEMPÊTE.
ARIEL, chante.

Ton père a le sort le plus beau ;
La vaste mer est son tombeau ;
Ses yeux, ce sont des perles fines ;
Ses os sont changés en corail.
Tout son corps, merveilleux travail,
A pris mille formes marines.
Écoute les chants des ondines !
Entends leur cloche de cristal,
Mêlée à leurs voix argentines.
Sonner pour lui le glas fatal !


On entend le son lointain d’une cloche.


FERDINAND.

Ces chants me rappellent mon père submergé. Il n’y a dans tout ceci rien de mortel, et ce ne sont pas là de terrestres accents : je les entends maintenant résonner au-dessus de ma tête.

PROSPÉRO.

Relève le voile de tes paupières orné de sa noire frange, et dis-moi ce que tu aperçois là-bas.

MIRANDA.

Que vois-je ? est-ce un esprit ? Bon Dieu ! comme il regarde autour de lui ! Croyez-moi, mon père, son aspect est beau, mais c’est un esprit.

PROSPÉRO.

Non, ma fille ; il mange et dort, et il a des sens comme les nôtres. Ce galant que tu vois est du nombre des naufragés, et s’il n’était un peu altéré par la douleur, ce cancer de la beauté, on pourrait le trouver fort bien ; il a perdu ses compagnons, et il est à leur recherche.

MIRANDA.

Je serais tentée de le prendre pour un être divin ; car je n’ai rien vu d’aussi noble dans la nature.

PROSPÉRO, à part.

Les choses marchent comme je le désire : mon génie, mon aimable génie, pour ce service-là je t’affranchirai dans deux jours.

FERDINAND.

Voilà, sans doute, la déesse pour laquelle cette harmonie se fait entendre. Daignez m’apprendre si vous résidez dans cette île. Puis-je espérer que vous voudrez bien me donner quelque instruction utile sur la manière dont je dois ici me conduire ? Ce que je désirerais savoir avant tout, bien que je n’exprime ce vœu que le dernier, c’est, ô jeune merveille ! si vous êtes ou non une vierge mortelle.

MIRANDA.

Je ne suis point une merveille, monsieur ; je suis tout simplement une jeune fille.

FERDINAND.

La langue de mon pays ! Ciel ! —je serais le pre-