Page:Shakespeare - Œuvres complètes, Laroche, 1842, vol 1.djvu/45

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
19
ACTE I, SCÈNE II.
GONZALVE.

Mais ce qu’il y a de merveilleux, ce qui passe presque toute croyance…

SÉBASTIEN.

Comme toutes les choses merveilleuses.

GONZALVE.

C’est que, bien que nos vêtements aient été trempés dans la mer, ils ont néanmoins conservé leur fraîcheur et leur éclat ; en sorte qu’au lieu d’être imprégnés d’eau salée, ils ont l’air d’être reteints à neuf.

ANTONIO.

Si l’une de ses poches seulement pouvait parler, ne dirait-elle pas : Il ment ?

SÉBASTIEN.

Oui, certes, à moins d’empocher son mensonge.

GONZALVE.

Il me semble que nos vêtements sont maintenant tout aussi frais que le jour où nous les mîmes pour la première fois en Afrique, au mariage de Claribel, la charmante fille du roi, avec le roi de Tunis.

SÉBASTIEN.

Ce fut là un heureux mariage, ma foi, et la fortune nous est on ne peut plus favorable à notre retour.

ADRIEN.

Tunis n’eut jamais pour reine une telle merveille.

GONZALVE.

Depuis la veuve Didon….

ANTONIO.

La veuve ! Diantre ! Qu’est-ce que cette veuve a eu à faire ici ? La veuve Didon !

SÉBASTIEN.

Pourquoi ne donnerait-il pas aussi à Énée le titre de veuf ? Comme vous y allez, seigneur !

ADRIEN.

La veuve Didon, dites-vous ? Vous m’en faites souvenir ; elle était de Carthage, non de Tunis.

GONZALVE.

Cette Tunis, seigneur, était autrefois Carthage.

ADRIEN.

Carthage ?

GONZALVE.

Oui, Carthage, je vous l’assure.

ANTONIO.

Sa parole surpasse les prodiges de la lyre de la fable.

SÉBASTIEN.

Elle élève des remparts et des maisons aussi.

ANTONIO.

Quelle impossibilité nouvelle va-t-il maintenant rendre facile ?

SÉBASTIEN.

Il est homme à emporter cette île dans sa poche, et à la donner à son fils en guise de pomme.

ANTONIO.

Puis à en semer les pépins dans la mer, pour en faire pousser d’autres.

GONZALVE.

En vérité ?

ANTONIO.

Oui, certes, et en un clin d’œil encore.

GONZALVE.

Je vous disais donc, seigneur, que nos vêtements