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ACTE IV, SCÈNE I.
ARlEL

Seigneur, je vais les chercher.

Il sort.
PROSPÉRO.

Vous, sylphes des collines, des ruisseaux, des lacs et des bois ; et vous qui, sans laisser sur le sable l’empreinte de vos pieds, poursuivez le flot qui se retire, et fuyez devant lui quand il revient sur la plage ; vous, farfadets qui, aux rayons de la lune, composez ces herbes amères que la brebis refuse de brouter ; et vous dont l’occupation consiste à faire éclore à minuit des champignons, et qui prêtez le soir une oreille charmée au son solennel du couvre-feu ; tout impuissants que vous êtes, avec votre aide j’ai obscurci le soleil de midi, évoqué de leurs antres les vents turbulents, et soulevé une guerre bruyante entre la mer verdâtre et la voûte azurée ; j’ai allumé les redoutables foudres et brisé le robuste chêne de Jupiter avec ses propres carreaux : j’ai fait trembler sur sa base le solide promontoire, et déraciné le pin et le cèdre : à ma voix les tombeaux se sont ouverts, et grâce à la puissance de mon art, les morts ont quitté leurs sépultures. Mais j’abjure maintenant cette magie violente : il ne me reste plus qu’à demander quelques accords d’une musique céleste pour agir selon mes vues sur les sens de ces hommes ; après quoi je briserai ma baguette magique, je l’ensevelirai à plusieurs pieds sous terre, et noierai mon livre sous les eaux à une profondeur que n’atteignit jamais la sonde.

On entend les sons d’une musique grave.


On voit entrer ARIEL ; après lui vient ALONZO, faisant des gestes frénétiques, GONZALVE l’accompagne ; SÉBASTIEN et ANTONIO, dans le même état de démence, sont accompagnés d’ADRIEN et de FRANCISCO. Tous entrent dans le cercle qu’a tracé Prospère, et y demeurent sous le charme.


PROSPÉRO, les observe, et dit en regardant Alonzo.

Que de solennels accords, le meilleur soulagement pour une imagination malade, guérissent ton cerveau, qui, maintenant inutile, bouillonne dans ton crâne ! Reste là, car tu es placé sous le charme. (S’adressant à Gonzalve.) Vertueux Gonzalve, homme honorable, mes yeux, sympathisant avec les tiens, versent des larmes fraternelles… Peu à peu le charme se dissipe ; comme on voit l’aube poindre au sein de la nuit, et dissiper les ténèbres, leurs sens qui se réveillent commencent à chasser les fumées de l’ignorance qui obscurcit leur raison… Ô excellent Gonzalve ! mon véritable sauveur ; sujet loyal de ton roi, de retour dans mes états, je reconnaîtrai tes services par des paroles et des actes. (À Alonzo) Tu as traité bien cruellement