Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1862, tome 3.djvu/7

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que l’on appelle Choès, c’est-à-dire la feste des morts, là où on fait des effusions et sacrifices pour les trespassez, ils se festoyoient eulx deux ensemble tout seuls, et se prit Apémantus à dire : « Que voici un beau banquet, Timon ; » et Timon lui respondit : « Oui bien, si tu n’y estois point. »

« L’on dit qu’un jour, comme le peuple estoit assemblé sur la place pour ordonner de quelque affaire, il monta à la tribune aux harangues, comme faisoient ordinairement les orateurs quand ils vouloient haranguer et prescher le peuple ; si y eut un grand silence et estoit chacun très-attentif à ouïr ce qu’il voudroit dire, à cause que c’étoit une chose bien nouvelle et bien estrange que de le veoir en chaire. À la fin, il commence à dire : « Seigneurs Athéniens, j’ai en ma maison une petite place où il y a un figuier auquel plusieurs se sont desjà penduz et étranglez, et pour autant que je veulx y faire bastir, je vous ai bien voulu advertir devant que faire couper le figuier, à cette fin que si quelques-uns d’entre vous se veulent pendre, qu’ils se dépeschent. » Il mourut en la ville d’Hales, et fut inhumé sur le bord de la mer. Si advint que, tout alentour de sa sépulture, le village s’éboula, tellement que la mer qui alloit flottant à l’environ, gardoit qu’on n’eût sçeu approcher du tombeau, sur lequel il y avoit des vers engravés de telle substance

Ayant fini ma vie malheureuse,
En ce lieu-cy on m’y a inhumé ;
Mourez, méchants, de mort malencontreuse,
Sans demander comment je fus nommé.

On dit que luy-mesme feit ce bel épitaphe ; car celui que l’on allègue communément n’est pas de lui, ains est du poëte Callimachus :

Ici je fais pour toujours ma demeure,
Timon encor les humains haïssant.
Passe, lecteur, en me donnant male heure,
Seulement passe, et me va maudissant.

« Nous pourrions escrire beaucoup d’autres choses dudit Timon, mais ce peu que nous en avons dit est assez pour le présent. »

(Vie d’Antoine, par Plutarque, traduction d’Amyot.)

Malgré quelques rapprochements qu’on pourrait trouver, à la rigueur, entre le Timon de Shakspeare et un dialogue de Lucien qui porte le même titre, nous pensons que cet épisode de Plutarque lui a