Lear. – Vos larmes mouillent-elles ? Oui, en vérité – Je vous en prie, ne pleurez pas. Si vous avez du poison pour moi, je le prendrai. Je sais bien que vous ne m’aimez pas ; car vos soeurs, autant que je me le rappelle, m’ont fait du mal. Vous avez des raisons de ne pas m’aimer ; elles n’en avaient pas.
Cordélia. – Pas une raison, pas une seule.
Lear. – Suis-je en France ?
Kent. – Vous êtes dans votre royaume, seigneur.
Lear. – Ne me trompez point.
Le médecin. – Consolez-vous, ma bonne dame ; les accès de fureur, vous le voyez, sont passés ; cependant il y aurait encore du danger à le ramener sur les temps dont il a perdu la mémoire. Engagez-le à rentrer ; ne l’agitons plus jusqu’à ce que ses organes soient raffermis.
Cordélia. – Plairait-il à Votre Altesse de marcher ?
Lear. – Il faut que vous me souteniez – Je vous prie, maintenant oubliez et pardonnez ; je suis vieux, et ma raison est affaiblie.
Sortent Lear, Cordélia, le médecin et la suite.
Le gentilhomme. – Est-il vrai, monsieur, que le duc de Cornouailles ait été tué de cette manière ?
Kent. – Très-vrai, monsieur.
Le gentilhomme. – Et qui commande ses gens ?
Kent. – On dit que c’est le fils bâtard de Glocester.
Le gentilhomme. – On assure qu’Edgar, le fils que le comte a chassé, est en Germanie avec le comte de kent.
Kent. – Les ouï-dire sont variables. Il est temps de regarder autour de soi : les armées du royaume approchent à grands pas.
Le gentilhomme. – Il y a lieu de croire que l’affaire qui va se décider sera sanglante. Adieu, monsieur.
Il sort.
Kent. – Mon entreprise et mes travaux vont avoir leur fin, bonne ou mauvaise selon l’issue de cette bataille.
Il sort.