Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1862, tome 5.djvu/117

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Albanie. – Seigneur, vous avez montré aujourd’hui votre courage, et la fortune vous a bien servi. Vous tenez captifs ceux qui nous ont combattus dans cette journée : nous vous requérons de nous les remettre, pour disposer d’eux selon qu’en ordonneront à la fois notre sûreté et la justice qui leur est due.

Edmond. – Seigneur, j’ai cru à propos d’envoyer ce vieux et misérable roi dans un endroit sûr où je le fais garder. Son âge, et plus encore son titre, ont un charme pour attirer vers lui le cœur des peuples, et pour tourner les lances que nous avons levées pour notre service contre les yeux de ceux qui les commandent. J’ai envoyé la reine avec lui pour les mêmes raisons : ils seront prêts à comparaître demain ou plus tard aux lieux où vous tiendrez votre cour de justice. En ce moment nous sommes couverts de sueur et de sang ; l’ami a perdu son ami ; et les guerres les plus justes sont, dans la chaleur du moment, maudites par ceux qui en ressentent les maux…. La décision du sort de cordélia et de son père demande un lieu plus convenable.

Albanie. – Avec votre permission, monsieur, je vous regarde ici comme un soldat à mes ordres, et non pas comme un frère.

Régane. – C’est précisément le titre dont il nous plaît de le gratifier : il me semble qu’avant de vous avancer si loin vous auriez pu vous informer de notre bon plaisir. Il a conduit nos troupes, il a été revêtu de mon autorité, il a représenté ma personne, ce qui lui permet bien de prétendre à l’égalité et de s’appeler votre frère.

Gonerille. – Ne vous échauffez pas tant. C’est par ses talents qu’il s’est élevé, beaucoup plus que par vos faveurs.

Régane. – Investi par moi de mes droits, il va de pair avec les meilleurs.

Gonerille. – Ce serait tout au plus s’il devenait votre mari.

Régane. – Badinage est souvent prophétie.

Gonerille. – Holà ! holà ! l’œil qui vous a fait voir cela voyait un peu louche.