Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1862, tome 5.djvu/121

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Edmond. – Tout ce que vous m’avez imputé je l’ai fait, et plus, et beaucoup plus encore – Le temps mettra tout à découvert – Tout cela est passé…. et moi aussi ! — Mais qui es-tu, toi, qui as eu le bonheur de l’emporter sur moi ? Si tu es noble, je te le pardonne.

Edgar. – Faisons échange de miséricorde. Mon sang n’est pas moins noble que le tien, Edmond ; et s’il l’est davantage, tu n’en as que plus de tort envers moi. Mon nom est Edgar ; je suis le fils de ton père. Les dieux sont justes ; ils font de nos vices chéris la verge dont ils nous châtient ; le lieu de ténèbres et de vices où il t’a engendré lui a coûté les yeux.

Edmond. – Tu as raison, c’est vrai : la roue a achevé son tour, et me voici !

Albanie. – Il m’avait bien semblé que ton maintien annonçait un sang royal – Il faut que je t’embrasse ! Que le chagrin brise mon cœur si j’ai jamais haï ni toi ni ton père.

Edgar. – Digne prince, je le sais bien.

Albanie. – Où vous êtes-vous caché ? Comment avez-vous connu les malheurs de votre père ?

Edgar. – En le secourant, seigneur. Écoutez un court récit ; et quand j’aurai fini, oh ! si mon cœur pouvait alors se rompre !… – Pour échapper à la sanglante proscription qui menaçait ma tête de si près (ô douceur de la vie ! qui nous fait préférer de mourir à chaque instant des angoisses de la mort, plutôt que de mourir une fois !) j’ai imaginé de me déguiser sous les haillons d’un mendiant insensé, et de me revêtir d’une apparence que les chiens eux-mêmes méprisaient. C’est dans ce travestissement que j’ai rencontré mon père, les anneaux de ses yeux tout saignants ; il venait d’en perdre les précieuses pierres. Je suis devenu son guide, je l’ai soutenu, j’ai mendié pour lui, je l’ai sauvé du désespoir. Jamais, oh ! quelle faute ! je ne me suis découvert à lui, jusqu’à cette dernière demi-heure, lorsque tout armé, et non pas sûr du succès, bien que plein d’espoir, je lui ai demandé sa bénédiction, et depuis le commencement jusqu’à la fin je lui ai raconté mon pèlerinage. Mais, brisé entre