Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1862, tome 5.djvu/455

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prince, toi qui, par ta sagesse, rends le prince sujet, que veux -tu que je fasse ?

Hélicanus : Supportez avec patience les maux que vous vous attirez vous-même.

Périclès : Tu parles comme un médecin. Hélicanus, tu me donnes une potion que tu tremblerais de recevoir toi-même. Écoute-moi donc : je fus à Antioche, où, comme tu sais, au péril de ma vie, je cherchais une beauté célèbre qui pût me donner une postérité, cette arme des princes qui fait la joie des sujets. Son visage fut pour mes yeux au-dessus de toutes les merveilles ; le reste, écoute bien, était aussi noir que l’inceste. Je découvris le sens d’une énigme qui faisait la honte du père coupable ; mais celui-ci feignit de me flatter au lieu de me menacer. Tu sais qu’il est temps de craindre quand les tyrans semblent vous caresser. Cette crainte m’assaillit tellement que je pris la fuite à la faveur du manteau de la nuit qui me protégea. Arrivé ici, je songeais à ce qui s’était passé, à ce qui pourrait s’ensuivre. Je connaissais Antiochus pour un tyran ; et les craintes des tyrans, au lieu de diminuer, augmentent plus vite que leurs années. Et s’il venait à soupçonner (ce qu’il soupçonne sans doute) que je puis apprendre au monde combien de nobles princes ont péri pour le secret de son lit incestueux, afin de se débarrasser de ce soupçon, Antiochus couvrirait cette contrée de soldats, sous prétexte de l’outrage que je lui ai fait ; et tous mes sujets, victimes de mon offense, si c’en est une, éprouveraient les coups de la guerre qui n’épargne pas l’innocence : cette tendresse pour tous les miens (et tu es du nombre, toi qui me blâmes)…

Hélicanus : Hélas ! seigneur.

Périclès : Voilà ce qui bannit le sommeil de mes yeux, le sang de mon visage ; voilà ce qui remplit mon cœur d’inquiétudes, quand je pense aux moyens d’arrêter cette tempête avant qu’elle éclate. Ayant peu d’espoir de prévenir ces malheurs, je croyais que le cœur d’un prince devait les pleurer.

Hélicanus : Eh bien ! seigneur, puisque vous m’avez