Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1862, tome 5.djvu/501

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vous aurez de la peine à la dresser à votre goût. Allons, laissons-la seule avec Sa Seigneurie.

(Le maître de la maison, la Femme et Boult sortent.)

Lysimaque : Allez. Maintenant, ma petite, y a-t-il longtemps que vous faites cet état ?

Marina : Quel état, seigneur ?

Lysimaque : Un état que je ne puis nommer sans offense.

Marina : Je ne puis être offensée par le nom de mon état. Veuillez le nommer.

Lysimaque : Y a-t-il longtemps que vous exercez votre profession ?

Marina : Depuis que je m’en souviens.

Lysimaque : L’avez-vous commencée si jeune ? Êtes-vous devenue libertine à cinq ans ou à sept ?

Marina : Plus jeune encore, si je le suis aujourd’hui.

Lysimaque : Quoi donc ! la maison où je vous trouve annonce que vous êtes une créature.

Marina : Vous savez que cette maison est un lieu de ce genre et vous y venez ? On me dit que vous êtes un homme d’honneur et le gouverneur de la ville.

Lysimaque : Quoi ! votre principale vous a appris qui j’étais !

Marina : Qui est ma principale ?

Lysimaque : C’est votre herbière, celle qui sème la honte et l’iniquité. Oh ! vous avez entendu parler de ma puissance, et vous prétendez à un hommage plus sérieux ? Mais je te proteste, ma petite, que mon autorité ne te verra pas, ou ne te regardera pas du moins favorablement. Allons, mène-moi quelque part. Allons, allons.

Marina : Si vous êtes homme d’honneur, c’est à présent qu’il faut le montrer. Si ce n’est qu’une réputation qu’on vous a faite, méritez-la.

Lysimaque : Oui-dà ! -Encore un peu ; continuez votre morale.

Marina : Malheureuse que je suis !… Quoique vertueuse, la fortune cruelle m’a jetée dans cet infâme lieu, où je vois vendre la maladie plus cher que la guérison. Ah ! si les dieux voulaient me délivrer de cette maison