Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1862, tome 5.djvu/82

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ques éléments qui puissent former des cœurs si durs ? A Edgar. — Vous, mon cher, je vous prends au nombre de mes cent chevaliers : seulement la mode de votre habit ne me plaît point. Vous me direz peut-être que c’est un costume persan ; cependant changez-en.

Kent. – Maintenant, mon bon maître, couchez-vous ici, et prenez un peu de repos.

Lear. – Point de bruit, point de bruit. Tirez les rideaux ; ainsi, ainsi, ainsi, nous irons souper dans la matinée ; ainsi, ainsi, ainsi.

Le fou. – Et je me coucherai à midi.

Entre Glocester.

Glocester. – Approche, ami. Où est le roi, mon maître ?

Kent. – Le voilà, seigneur ; mais ne le troublez pas ; sa raison est perdue.

Glocester. – Mon bon ami, je te conjure, prends-le dans tes bras : je viens d’entendre un complot pour le mettre à mort. Il y a ici une litière toute prête : porte-le dedans, et conduis-le promptement vers Douvres, ami, où tu trouveras un bon accueil et des protecteurs. Enlève ton maître : si tu diffères seulement d’une demi-heure, lui, toi et quiconque osera prendre sa défense, êtes assurés de périr – Prends-le, prends-le, et suis-moi. Je vais le conduire en peu d’instants au lieu où j’ai tout fait préparer.

Kent. – La nature épuisée s’est assoupie. Le sommeil aurait pu remettre quelque baume dans tes organes blessés. Si les circonstances ne le permettent pas, ta guérison sera difficile. Au fou. Allons, aide-moi à porter ton maître ; il ne faut pas que tu restes en arrière.

Glocester. – Allons, allons, partons.

Sortent Kent, Glocester et le fou, emportant le roi.

Edgar. – Quand nous voyons nos supérieurs endurer les mêmes maux que nous, à peine conservons-nous quelque amertume sur nos misères. Celui qui souffre seul souffre surtout dans son âme, en laissant derrière lui des êtres libres et le spectacle du bonheur. Mais l’âme surmonte bien plus facilement la douleur, quand le malheur a des compagnons, et que l’on souffre en société.