Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1862, tome 7.djvu/227

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Catherine. — Est-il possible à moi de aimer le ennemi de France ?

Le roi. — Non ; il n’est pas possible, sans doute, que vous aimiez l’ennemi de la France, belle Catherine ; mais en m’aimant vous aimeriez l’ami de la France. Car j’aime si bien la France, que je ne me déferai pas d’un seul de ses villages : je veux l’avoir à moi tout entière. Alors, Catherine, quand toute la France m’appartiendra, et que je vous appartiendrai, toute la France sera à vous, et vous serez à moi.

Catherine. — Je ne sais ce que c’est que cela.

Le roi. — Non ? Eh bien ! Catherine, je vais essayer de vous le dire en mots français, lesquels, j’en suis sûr, vont rester suspendus au bout de ma langue, comme une nouvelle mariée au cou de son époux, c’est-à-dire de façon à ne pouvoir s’en détacher : essayons. Quand j’ai la possession de France, et quand vous avez la possession de moi (attendez…. Quoi ?…. Morbleu ! saint Denis, aide-moi), donc vôtre est France, et vous estes mienne. Il me serait aussi facile, chère Catherine, de conquérir tout le royaume, que de dire encore autant de français. Je suis sûr que je ne vous engagerai jamais à rien en parlant français, sinon à vous moquer de moi.

Catherine. — Sauf votre honneur, le français que vous parlez est meilleur que l’anglais que je parle.

Le roi. — Non pardieu, Catherine, cela n’est pas vrai ; mais il faut avouer que nous parlons tous deux, vous ma langue, et moi la vôtre, on ne peut pas plus faux, et que nous sommes bien de niveau là-dessus. Mais enfin, chère Catherine, entendez-vous au moins assez d’anglais pour comprendre ceci : Peux-tu m’aimer ?

Catherine. — C’est ce que je ne puis dire.

Le roi. — Y a-t-il quelqu’un de vos voisins, Catherine, qui puisse m’en instruire ? Je les prierai de me le dire. — Allons, je sais que vous m’aimez ; et ce soir, quand vous serez retirée dans votre cabinet, vous questionnerez cette dame à mon sujet : et je sais bien encore, Catherine, que les qualités que vous aimerez le mieux en moi sont celles que vous priserez le moins devant elle.