gentilhomme de ma naissance, un traitement qui ne diffère en aucune façon de celui des bœufs à l’étable ? Ses chevaux sont mieux traités ; car, outre qu’ils sont très-bien nourris, on les dresse au manége ; et à cette fin on paye bien cher des écuyers : moi, qui suis son frère, je ne gagne sous sa tutelle que de la croissance : et pour cela les animaux qui vivent sur les fumiers de la basse-cour lui sont aussi obligés que moi ; et pour ce néant qu’il me prodigue si libéralement, sa conduite à mon égard me fait perdre le peu de dons réels que j’ai reçus de la nature. Il me fait manger avec ses valets ; il m’interdit la place d’un frère, et il dégrade autant qu’il est en lui ma distinction naturelle par mon éducation. C’est là, Adam, ce qui m’afflige. Mais l’âme de mon père, qui est, je crois, en moi, commence à se révolter contre cette servitude. Non, je ne l’endurerai pas plus longtemps, quoique je ne connaisse pas encore d’expédient raisonnable et sûr pour m’y soustraire.
(Olivier survient.)
ADAM.—Voilà votre frère, mon maître, qui vient.
ORLANDO.—Tiens-toi à l’écart, Adam, et tu entendras comme il va me secouer.
OLIVIER.—Eh bien ! monsieur, que faites-vous ici ?
ORLANDO.—Rien : on ne m’apprend point à faire quelque chose.
OLIVIER.—Que gâtez-vous alors, monsieur ?
ORLANDO.—Vraiment, monsieur, je vous aide à gâter ce que Dieu a fait, votre pauvre misérable frère, à force d’oisiveté.
OLIVIER.—Que diable ! monsieur occupez-vous mieux, et en attendant soyez un zéro.
ORLANDO.—Irai-je garder vos pourceaux et manger des carouges avec eux ? Quelle portion de patrimoine ai-je follement dépensée, pour en être réduit à une telle détresse ?
OLIVIER.—Savez-vous où vous êtes, monsieur ?
ORLANDO.—Oh ! très-bien, monsieur : je suis ici dans votre verger.
OLIVIER.—Savez-vous devant qui vous êtes, monsieur ?