CÉLIE.—Du plaisir ! de quelle couleur ?
LE BEAU.—De quelle couleur, madame ? Que voulez-vous que je vous réponde ?
ROSALINDE.—Au gré de votre esprit et du hasard.
TOUCHSTONE.—Ou comme le voudront les décrets de la destinée.
CÉLIE.—Très-bien dit : voilà qui est maçonné avec une truelle[1]
TOUCHSTONE.—Ma foi, si je ne garde pas mon rang[2]…
ROSALINDE.—Tu perds ton ancienne odeur.
LE BEAU.—Vous me troublez, mesdames ; je voulais vous faire le récit d’une belle lutte que vous n’avez pas eu le plaisir de voir.
ROSALINDE.—Dites-nous toujours l’histoire de cette lutte.
LE BEAU.—Je vous en dirai le commencement ; et si cela plaît à Vos Seigneuries, vous pourrez en voir la fin ; car le plus beau est encore à faire, et ils viennent l’exécuter précisément dans l’endroit où vous êtes.
CÉLIE.—Eh bien ! le commencement, qui est mort et enterré ?
LE BEAU.—Arrive un vieillard avec ses trois fils.
CÉLIE.—Je pourrais trouver ce début-là à un vieux conte.
LE BEAU.—Trois jeunes gens de belle taille et de bonne mine…
ROSALINDE.—Avec des écriteaux à leur cou[3] portant : « On fait à savoir par ces présentes, à tous ceux à qui il appartiendra… »
LE BEAU.—L’aîné des trois a lutté contre Charles, le lutteur du duc : Charles, en un instant, l’a renversé, et lui a cassé trois côtes ; de sorte qu’il n’y a guère d’espérance qu’il survive. Il a traité le second de même, et le troisième aussi. Ils sont étendus ici près ; le pauvre vieillard, leur père, fait de si tristes lamentations à côté