Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1863, tome 4.djvu/272

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et, chemin faisant, vous me direz dans quel endroit de la forêt vous habitez : voulez-vous venir ?

ORLANDO.—De tout mon cœur, bon jeune homme.

ROSALINDE.—Non, non, il faut que vous m’appeliez Rosalinde. (A Célie.) Allons, ma sœur, voulez-vous venir ?

(Ils sortent.)


Scène IV

Entrent TOUCHSTONE, AUDREY et JACQUES, qui les observe et se tient à l’écart.

TOUCHSTONE.—Allons vite, chère Audrey ; je vais chercher vos chèvres, Audrey : Eh bien, Audrey, suis-je toujours votre homme ? Mes traits simples vous contentent-ils ?

AUDREY.—Vos traits, Dieu nous garde ! Quels traits ?

TOUCHSTONE.—Je suis ici avec toi et tes chèvres, comme jadis le bon Ovide, le plus capricieux des poëtes, était parmi les Goths[1].

JACQUES, à part.—O science plus déplacée que Jupiter ne le serait sous un toit de chaume !

TOUCHSTONE.—Quand les vers d’un homme ne sont pas compris, et que l’esprit d’un homme n’est pas secondé par l’intelligence, enfant précoce, c’est un coup plus mortel que de voir arriver le long mémoire d’un maigre écot dans un petit cabaret : vraiment, je voudrais que les dieux t’eussent fait poétique.

AUDREY.—Je ne sais ce que c’est que poétique : cela est-il honnête dans le mot et dans la chose ? cela a-t-il quelque vérité ?

TOUCHSTONE.—Non vraiment ; car la vraie poésie est la plus remplie de fictions, et les amoureux sont adonnés à la poésie ; tout ce qu’ils jurent en poésie, on peut dire qu’ils le feignent comme amants.

AUDREY.—Comment pouvez-vous donc souhaiter que les dieux m’eussent fait poétique ?

TOUCHSTONE.—Oui vraiment, je le souhaiterais ; car tu

  1. Barbarus his ego quia non intelligo illis !