Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1863, tome 4.djvu/282

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ACTE QUATRIÈME


Scène I

Toujours la forêt.

ROSALINDE, CÉLIE et JACQUES.

JACQUES.—Je t’en prie, joli jeune homme, faisons plus ample connaissance.

ROSALINDE.—On dit que vous êtes un homme mélancolique.

JACQUES.—Je le suis, il est vrai ; j’aime mieux cela que de rire.

ROSALINDE.—Ceux qui donnent dans l’un ou l’autre extrême font des gens détestables, et s’exposent, plus qu’un homme ivre, à être la risée de tout le monde.

JACQUES.—Quoi ! mais il est bon d’être triste et de ne rien dire.

ROSALINDE.—Il est bon alors d’être un poteau.

JACQUES.—Je n’ai pas la mélancolie d’un écolier, qui vient de l’émulation ; ni la mélancolie d’un musicien, qui est fantasque ; ni celle d’un courtisan, qui est vaniteux ; ni celle d’un soldat, qui est l’ambition ; ni celle d’un homme de robe, qui est politique ; ni celle d’une femme, qui est frivole ; ni celle d’un amoureux, qui est un composé de toutes les autres : mais j’ai une mélancolie à moi, une mélancolie formée de plusieurs ingrédients, extraite de plusieurs objets ; et je puis dire que la contemplation de tous mes voyages, dans laquelle m’enveloppe ma fréquente rêverie, est une tristesse vraiment originale.

ROSALINDE.—Vous, un voyageur ! Par ma foi, vous