Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1863, tome 4.djvu/284

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ROSALINDE.—Oui, par un limaçon ; car s’il vient lentement, il traîne sa maison sur son dos : meilleur douaire, à mon avis, que vous n’en pourrez assigner à une femme ; d’ailleurs, il porte sa destinée avec lui.

ORLANDO.—Quelle destinée ?

ROSALINDE.—Quoi donc ! des cornes, que des gens tels que vous sont obligés de devoir à leurs femmes ; mais le limaçon vient armé de sa destinée et prévient la médisance sur le compte de sa femme.

ORLANDO.—La vertu ne donne pas de cornes et ma Rosalinde est vertueuse.

ROSALINDE.—Et je suis votre Rosalinde ?

CÉLIE.—Il lui plaît de vous appeler ainsi ; mais il a une Rosalinde de meilleure mine que vous.

ROSALINDE.—Allons, faites-moi l’amour, faites-moi l’amour ; car je suis maintenant dans mon humeur des dimanches, et assez disposée à consentir à tout. Que me diriez-vous maintenant, si j’étais votre vraie Rosalinde ?

ORLANDO.—Je vous embrasserais avant de parler.

ROSALINDE.—Non ; vous feriez mieux de parler d’abord, et ensuite, lorsque vous vous trouveriez embarrassé, faute de matière, vous pourriez profiter de cette occasion, pour donner un baiser. On voit tout les jours de très-bons orateurs cracher, lorsqu’ils perdent le fil de leur discours. Quant aux amoureux, lorsqu’ils ne savent plus que dire, le meilleur expédient pour eux, Dieu nous en préserve ! c’est d’embrasser.

ORLANDO.—Et si le baiser est refusé ?

ROSALINDE.—En ce cas, vous êtes forcé de recourir aux prières, et alors commence une nouvelle matière.

ORLANDO.—Qui pourrait rester court en présence d’une maîtresse chérie ?

ROSALINDE.—Vraiment, vous-même, si j’étais votre maîtresse : autrement, j’aurais plus mauvaise idée de ma vertu que de mon esprit.

ORLANDO.—Que dites-vous de ma requête ?

ROSALINDE.—Ne quittez pas votre habit, mais laissez votre requête[1] ; ne suis-je pas votre Rosalinde ?

  1. Suit habit, requête, équivoque.