Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1863, tome 4.djvu/293

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tout à coup ? Il jette ses regards de côté, et voyez ce qui se présenta à sa vue ! Sous un chêne, dont l’âge avait couvert les rameaux de mousse et dont la tête élevée était chauve de vieillesse, un malheureux en guenilles, les cheveux longs et en désordre, dormait couché sur le dos ; un serpent vert et doré s’était entortillé autour de son cou, et avançant sa tête souple et menaçante, il s’approchait de la bouche ouverte du misérable, quand tout à coup, apercevant Orlando, il se déroule et se glisse en replis tortueux sous un buisson, à l’ombre duquel une lionne, les mamelles desséchées, était couchée, la tête sur la terre, épiant comme un chat le moment où l’homme endormi ferait un mouvement ; car tel est le généreux naturel de cet animal, qu’il dédaigne toute proie qui semble morte. À cette vue, Orlando s’est approché de l’homme et il a reconnu son frère, son frère aîné !

CÉLIE.—Oh ! je lui ai entendu parler quelquefois de ce frère ; et il le peignait comme le frère le plus dénaturé, qui jamais ait vécu parmi les hommes.

OLIVIER.—Et il avait bien raison ; car je sais, moi, combien il était dénaturé.

ROSALINDE.—Mais, revenons à Orlando.—L’a-t-il laissé dans ce péril, pour servir de nourriture à la lionne pressée par la faim et le besoin de ses petits ?

OLIVIER.—Deux fois il a tourné le dos pour se retirer : mais la générosité plus noble que la vengeance, la nature plus forte que son juste ressentiment, lui ont fait livrer combat à la lionne, qui bientôt est tombée devant lui ; et c’est au bruit de cette lutte terrible que je me suis réveillé de mon dangereux sommeil.

CÉLIE.—Êtes-vous son frère ?

ROSALINDE.—Est-ce vous qu’il a sauvé ?

CÉLIE.—Est-ce bien vous qui aviez tant de fois comploté de le faire périr ?

OLIVIER.—C’était moi ; mais ce n’est plus moi. Je ne rougis point de vous avouer ce que je fus, depuis qu’il me fait trouver tant de douceur à être ce que je suis à présent.