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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1863, tome 8.djvu/343

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comme s’ils ne la voyaient pas. Ses yeux le conjurent encore, mais ses regards dédaignent ses prières. Toute cette pantomime est expliquée par les larmes que les yeux de Vénus répandent comme ceux d’un chœur de tragédie.

LXI. — Elle le prend doucement par la main : c’est un lis enfermé dans une prison de neige, ou une main d’ivoire dans un cercle d’albâtre tant l’amie est blanche qui presse sa blanche ennemie. Cette lutte charmante entre celle qui veut et celui qui ne veut point ressemblait aux ébats de deux colombes argentées qui se becquètent.

LXII. — Bientôt l’interprète des pensées de Vénus reprend : « O toi, le plus beau de tous ceux qui se meuvent sur le globe de la terre ! que n’es-tu ce que je suis, et moi un homme ; mon cœur intact comme le tien, et ton cœur atteint de ma blessure ! Pour le prix d’un doux regard, je t’assurerais mon secours lorsque la pâte de mon corps pourrait seule te sauver.

LXIII. — Rendez-moi ma main, dit Adonis : pourquoi la pressez-vous ? » Demande-moi mon cœur, dit-elle, et tu l’auras, ou rends-le-moi de peur que ton cœur inflexible ne l’endurcisse ; une fois endurci, de tendres soupirs ne pourraient plus le pénétrer ; les sanglots de l’amour me trouveraient insensible, parce que le cœur d’Adonis aurait endurci le mien ! »

LXIV. — Fi donc ! s’écrie-t-il ; laissez-moi et laissez-moi aller. Le plaisir de ma journée est perdu : mon cheval a fui, et c’est par votre faute que j’en suis privé. Je vous en prie, quittez-moi, et laissez-moi seul ici : car tout mon souci, toute ma préoccupation, toute mon idée, c’est de reprendre mon cheval à cette jument. »

LXV. — Vénus lui répond : « Ton palefroi t’abandonne comme il le doit aux douces ardeurs du désir. L’amour est un charbon qu’il faut refroidir, sinon il met tout le cœur en feu. La mer a des bornes, mais le profond désir n’en a point : ne sois donc pas surpris si ton coursier est parti.

LXVI. — Comme il avait l’air d’une rosse, attaché à un arbre, esclave soumis à des rênes de cuir ! Mais, dès qu’il a vu la cavale, noble prix de sa jeunesse, il a dédaigné sa honteuse servitude, secoué de son col arqué ses misérables liens, et il a affranchi sa bouche, sa croupe et son poitrail.

LXVII. — Après avoir vu sa bien-aimée nue dans sa couche, montrant à ses draps une nuance plus blanche que le blanc, quel est celui dont les yeux avides n’inspirent pas à ses autres sens le désir d’une égale jouissance ? quel est l’homme