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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1863, tome 8.djvu/470

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honteusement souillé pour ne
compter pour rien tous les mérites. Je ne vois rien dans ce vaste

univers, rien que toi, ma rose ; tu es mon tout.


Hélas ! il est vrai, j’ai erré çà et là et j’ai pris l’habit d’un

paillasse au vu de tous ; j’ai blessé mes propres sentiments, fait peu de
cas de ce qu’il y a de plus précieux ; et j’ai fait de vieux crimes avec
des affections nouvelles. Il est trop vrai que j’ai contemplé la vérité
d’un œil oblique et mécontent ; mais, à tout prendre, ces écarts ont
donné à mon cœur une jeunesse nouvelle, et mes tristes essais m’ont
prouvé que tu valais mieux que tout le reste. Maintenant tout est
terminé ; possède ce qui n’aura pas de terme. Je n’aiguiserai plus jamais
mon appétit dans de nouvelles épreuves, pour juger une plus ancienne
amie, un Dieu d’amour, qui est désormais tout pour moi. Accueille-moi
donc favorablement, toi qui es mon ciel, et reçois-moi sur ton sein si

pur et si tendre.


Oh ! par amour pour moi, blâmez la Fortune, cette déesse coupable de mes

mauvaises actions, qui n’a pourvu à mon existence qu’en me forçant de
faire appel au public, qui engendre les mœurs publiques. C’est pour
cela que mon nom reçoit une flétrissure, et que ma nature porte presque
l’empreinte de son travail, comme la main du teinturier ; plaignez-moi
donc, et souhaitez que je pusse me renouveler. Patient docile, je boirai
des potions de vinaigre ; je ne trouverai amère aucune amertume si elle
peut combattre ma terrible maladie ; j’accepterai tout châtiment qui
pourra me corriger. Plaignez-moi donc, cher ami, et je vous assure que

votre pitié suffira pour me guérir.


Votre amour et votre pitié effacent la marque que le scandale vulgaire a

imprimée sur mon front. Que m’importe qu’on dise du bien ou du mal de
moi, pourvu que vous abritiez mes défauts, et que vous approuviez mes
qualités. Vous êtes pour moi l’univers entier, et je dois m’efforcer de
recueillir de votre bouche soit le blâme soit la louange. Personne
d’autre n’est rien pour moi, je ne me soucie de personne ; que la
destinée ou le jugement du monde me traite bien ou mal. Je jette dans