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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1863, tome 8.djvu/482

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te
poursuis de loin ; mais si tu parviens à attraper l’objet de tes désirs,
reviens à moi, joue le rôle d’une mère, embrasse-moi, sois bonne ; je
prierai pour que tu fasses ta volonté, si tu daignes

revenir pour apaiser mes bruyants sanglots.


J’ai deux amours, l’un tout consolation, l’autre tout désespoir, qui me

tentent comme deux esprits. Mon bon ange est un homme au beau visage, et
au teint blanc, mon mauvais ange, une femme, mal peinte. Pour
m’entraîner plus vite en enfer, mon démon femelle cherche à éloigner de
moi mon bon ange, et voudrait faire de mon saint un démon, en séduisant
sa pureté par son orgueil infernal. Mon ange est-il devenu un démon ?
J’en ai peur, mais je ne puis pas le dire positivement, tous deux
viennent de moi, tous deux sont unis ; je soupçonne qu’un ange est dans
l’enfer de l’autre. Mais je vivrai toujours dans le doute, jusqu’à ce

que mon mauvais démon ait chassé mon bon ange.


Ces lèvres qu’a formées la propre main de l’amour ont murmuré un son qui

disait « je déteste, » à moi qui languissais d’amour pour elle ; mais,
quand elle a vu mon état lamentable, la pitié est aussitôt née dans son
coeur ; elle a réprimandé cette langue qui, toujours si douce, ne savait
condamner que doucement ; elle lui a appris à murmurer de nouveau « je
déteste, » mais en y ajoutant une conclusion aussi charmante que le jour,
si beau lorsqu’il remplace la nuit qui est chassée comme un démon du
ciel en enfer ; elle a dit dans sa cruauté « je déteste » et elle a sauvé

ma vie en ajoutant « non pas vous. »


Pauvre âme, centre de mon argile pécheresse, trompée par ces puissances

rebelles qui t’environnent, pourquoi languis-tu et souffres-tu dans la
détresse, tandis que tu pares si pompeusement tes murs extérieurs ?
Pourquoi tant dépenser, quand ton bail est si court, dans une maison qui
s’écroule ? Les vers qui hériteront de tes excès, mangeront-ils ton
fardeau ? Est-ce là le but de ton corps ? O mon âme, vis de la détresse de
ton serviteur, laisse-le languir pour augmenter tes trésors ; achète les
biens divins en vendant des heures de rebut : nourris-toi