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ÉTUDE

celui du temps où vécut Shakspeare. Tant de sentiments, tant d’intérêts, tant d’idées, conséquences nécessaires de la civilisation moderne, pourraient devenir, même sous leur plus simple expression, un bagage embarrassant et difficile à porter dans les évolutions rapides et les marches hardies du système romantique.

Cependant il faut satisfaire à tout ; le succès même le veut. Il faut que la raison soit contente en même temps que l’imagination sera occupée. Il faut que les progrès du goût, des lumières de la société et de l’homme, servent, non à diminuer ou à troubler nos jouissances, mais à les rendre dignes de nous-mêmes, et capables de répondre aux besoins nouveaux que nous avons contractés. Avancez sans règle et sans art dans le système romantique ; vous ferez des mélodrames propres à émouvoir en passant la multitude, mais la multitude seule, et pour quelques jours ; comme, en vous traînant sans originalité dans le système classique, vous ne satisferez que cette froide nation littéraire qui ne connaît, dans la nature, rien de plus sérieux que les intérêts de la versification, ni de plus imposant que les trois unités. Ce n’est point là l’œuvre du poëte appelé à la puissance et réservé à la gloire ; il agit sur une plus grande échelle et sait parler aux intelligences supérieures comme aux facultés générales et simples de tous les hommes. Sans doute il faut que la foule accoure aux ouvrages dramatiques dont vous voulez faire un spectacle national ; mais n’espérez pas devenir national si vous ne réunissez dans vos fêtes toutes ces classes de personnes et d’esprits dont la hiérarchie bien liée élève une nation à sa plus haute dignité. Le génie est tenu de suivre la nature humaine dans tous ses développements ; sa force consiste à trouver en lui-même de quoi satisfaire toujours le public tout entier. Une même, tâche est imposée aujourd’hui au gouvernement et à la poésie ; l’un et l’autre doivent exister pour tous, suffire à la fois aux besoins des masses et à ceux des esprits les plus élevés.