Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/17

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
11
SUR SHAKSPEARE.

nèrent, élevaient successivement, entre les deux partis, de nouveaux motifs d’animosité ; cependant l’intérêt religieux dominait si peu tous les sentiments qu’en 1569 Élisabeth, l’enfant de la réforme, mais précieuse à ses peuples comme le gage du repos et du bonheur public, trouva la plupart de ses sujets catholiques pleins d’ardeur pour l’aider à réprimer la révolte catholique d’une portion du nord de l’Angleterre.

À plus forte raison rentraient-ils facilement dans ce joyeux oubli de tout grand débat où Élisabeth aimait à les entretenir. À la vérité, au fond des masses populaires, la réforme, flattée mais non satisfaite, grondait sourdement ; on l’entendait même élever par degrés cette voix qui devait bientôt ébranler toute l’Angleterre. Mais au milieu du mouvement de jeunesse qui emportait, pour ainsi dire, toute la nation, la sévérité des réformateurs n’était encore qu’un spectacle importun, dont se détournaient bientôt ceux qui l’avaient remarqué en passant ; et les accents du puritanisme, unis à ceux de la liberté, étaient réprimés sans effort par un pouvoir dont le peuple goûtait trop récemment la protection pour en craindre beaucoup les envahissements.

Nulle époque peut-être n’est plus favorable à la fécondité et à l’originalité des productions de l’esprit que ces temps où une nation libre déjà, mais s’ignorant encore elle-même, jouit naïvement de ce qu’elle possède sans s’apercevoir de ce qui lui manque : temps pleins d’ardeur, mais peu exigeants, où les droits n’ont pas été définis, les pouvoirs discutés, les restrictions convenues. Le gouvernement et le public, marchant alors sans crainte et sans scrupule, chacun dans sa carrière, vivent ensemble sans s’observer avec méfiance, ne se rencontrant même que rarement. Si, d’un côté, le pouvoir est sans limites, de l’autre la liberté sera grande ; l’un et l’autre ignoreront ces formes générales, ces innombrables et minutieux devoirs auxquels un despotisme savant et même une liberté bien réglée asservissent plus ou