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HAMLET.

de dangereux et que devra redouter ta prudence. Écarte ta main.

le roi. — Séparez-les.

la reine. — Hamlet ! Hamlet !

tous. — Messieurs !

horatio. — Mon bon seigneur, calmez-vous.

(On les sépare et ils sortent de la fosse.)

hamlet. — Or çà, je combattrai avec lui pour cette cause, jusqu’à ce que mes paupières refusent de se mouvoir.

la reine. — Ô mon fils, pour quelle cause ?

hamlet. — J’aimais Ophélia. Quarante mille frères ne pourraient pas, avec toute leur somme d’amour, monter au même total que moi… Que veux-tu faire pour elle ?

le roi. — Ô Laërtes, il est fou.

la reine. — Pour l’amour de Dieu, laissez-le !

hamlet. — Morbleu ! montre-moi ce que tu veux faire. Veux-tu pleurer ? veux-tu combattre ? veux-tu t’affamer ? veux-tu te mettre en pièces ? veux-tu t’abreuver de vinaigre [1] ? veux-tu manger un crocodile ?… Je ferai tout cela… Ne viens-tu ici que pour gémir ? pour me braver en t’élançant dans son tombeau ? Fais-toi enterrer vivant avec elle ; j’en ferai autant. Et puisque tu bavardes à

  1. Les galants, au temps de Shakspeare, avaient pour mode de prouver leur passion à leurs maîtresses par les plus extravagantes épreuves ; une des moins folles, mais non la moins sotte, consistait à avaler quelque breuvage déplaisant. Il est donc inutile de supposer, comme quelques commentateurs, que Hamlet propose à Laërtes de boire une rivière telle que l’Yssel ou la Vistule. Le texte porte
    Woo’t drink up esile ?

    et dans ce dernier mot on reconnaît aisément eisell, qui désignait alors tantôt le vinaigre, tantôt l’absinthe, et jouait souvent un rôle en ces défis de courage amoureux. — On le trouve ainsi mentionné dans les œuvres de sir Th. Moor (1557) « Si tu affliges ton goût par un breuvage amer, souviens-toi que, pour toi, Jésus-Christ a goûté le vinaigre et le fiel ; » et dans son 111e sonnet Shakspeare a dit lui-même : « Malade docile, je boirai des potions d’absinthe pour combattre le poison violent qui m’envahit. »