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Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 1.djvu/305

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ACTE I, SCÈNE I.

Le bosseman.

Manœuvrez donc vous-même.

Antonio.

Puisses-tu être pendu, maudit roquet ! Puisses-tu être pendu, vilain drôle, insolent criard ! Nous avons moins peur d’être noyés que toi.

Gonzalo.

Je garantis qu’il ne sera pas noyé, le vaisseau fût-il mince comme une coquille de noix, et ouvert comme la porte d’une dévergondée[1].

Le bosseman.

Serrez le vent ! serrez le vent ! Prenons deux basses voiles et élevons-nous en mer. Au large !

(Entrent des matelots mouillés.)
Les matelots.

Tout est perdu. — En prières ! en prières ! Tout est perdu.

(Ils sortent.)
Le bosseman.

Quoi ! faut-il que nos bouches soient glacées par la mort ?

Gonzalo.

Le roi et le prince en prières ! Imitons-les, car leur sort est le nôtre.

Sébastien.

Ma patience est à bout.

Antonio.

Nous périssons par la trahison de ces ivrognes. Ce bandit au gosier énorme, je voudrais le voir noyé et roulé par dix marées.

Gonzalo.

Il n’en sera pas moins pendu, quoique chaque goutte d’eau jure le contraire et bâille de toute sa largeur pour l’avaler.

(Bruit confus au dedans du navire.)
Des voix.

Miséricorde ! nous sombrons, nous sombrons… Adieu, ma femme et mes enfants. Mon frère, adieu. Nous sombrons, nous sombrons, nous sombrons.

Antonio.

Allons tous périr avec le roi.

(Il sort.)
Sébastien.

Allons prendre congé de lui.

(Il sort.)
Gonzalo.

Que je donnerais de bon cœur en ce moment mille lieues de mer pour un acre de terre aride, ajoncs

  1. As leaky as an unstaunched wench.

    Le sens de ce passage, tel qu’il me paraît probable, est impossible à rendre en français. J’ai cherché seulement à en approcher autant qu’il se pouvait sans trop de grossièreté.