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ACTE I, SCÈNE II.

tu entrepris d’attenter à l’honneur de mon enfant.

Caliban.

Ô ho ! ô ho ! je voudrais en être venu à bout. Tu m’en empêchas : sans cela j’aurais peuplé cette île de Calibans.

Prospero.

Esclave abhorré, qui ne peux recevoir aucune empreinte de bonté, en même temps que tu es capable de tout mal, j’eus pitié de toi : je me donnai de la peine pour te faire parler ; à toute heure je t’enseignais tantôt une chose, tantôt une autre. Sauvage, lorsque tu ne savais pas te rendre compte de ta propre pensée et ne t’exprimais que par des cris confus, comme la plus vile brute, je fournis à tes idées des mots qui les firent connaître. Mais, bien que capable d’apprendre, tu avais dans ta vile espèce des instincts qui éloignaient de toi toutes les bonnes natures. Tu fus donc avec justice confiné dans ce rocher, toi qui méritais pis qu’une prison.

Caliban.

Vous m’avez appris un langage, et le profit que j’en retire c’est de savoir maudire. Que l’érésipèle vous ronge, pour m’avoir appris votre langage !

Prospero.

Hors d’ici, race de sorcière ; apporte-nous là-dedans du bois pour le feu ; et crois-moi, sois diligent à remplir tes autres devoirs. Tu regimbes, mauvaise bête ? Si tu négliges ou fais de mauvaise grâce ce que je t’ordonne, je te torturerai de crampes invétérées, je remplirai tous tes os de douleurs, je te ferai mugir de telle sorte que les animaux trembleront au bruit de ton hurlement.

Caliban.

Non, je t’en prie. (À part.) Il faut que j’obéisse ; son art est si fort qu’il pourrait tenir tête à Sétébos, le dieu de ma mère, et en faire son sujet.

Prospero.

Allons, esclave, sors d’ici.

(Caliban s’en va.)
(Ariel rentre invisible, chantant et jouant d’un instrument ; Ferdinand le suit.)
Ariel chante.

Venez sur ces sables jaunes,
Et prenez-vous par les mains ;
Quand vous vous serez salués et baisés
(Les vagues turbulentes se taisent),