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ACTE I, SCÈNE II.

lez pas pour lui ; c’est un traître. — Viens, j’attacherai d’une même chaîne tes pieds et ton cou : tu boiras l’eau de la mer, et tu auras pour ta nourriture les coquillages des eaux vives, les racines desséchées, et les cosses où a été renfermé le gland. Suis-moi.

Ferdinand.

Non, jusqu’à ce que mon ennemi soit plus puissant que moi, je résisterai à un pareil traitement.

(Il tire son épée.)
Miranda.

Ô mon bien-aimé père, ne le tentez pas avec trop d’imprudence. Il est doux et non pas craintif.

Prospero.

Eh ! dites donc, mon pied voudrait me servir de gouverneur ! — Lève donc ce fer, traître qui dégaines et qui n’oses frapper, tant ta conscience est préoccupée de ton crime ! Cesse de te tenir en garde, car je pourrais te désarmer avec cette baguette, et faire tomber ton épée.

Miranda.

Mon père, je vous conjure.

Prospero.

Loin de moi. Ne te suspens pas ainsi à mes vêtements.

Miranda.

Seigneur, ayez pitié… Je serai sa caution.

Prospero.

Tais-toi, un mot de plus m’obligera à te réprimander, si ce n’est même à te haïr. Comment ! prendre la défense d’un imposteur ! — Paix. — Tu t’imagines qu’il n’y a pas au monde de figures pareilles à la sienne ; tu n’as vu que Caliban et lui. Petite sotte, c’est un Caliban auprès de la plupart des hommes, ils sont des anges auprès de lui.

Miranda.

Mes affections sont donc des plus humbles : je n’ai point l’ambition de voir un homme plus parfait que lui.

Prospero, à Ferdinand.

Allons, obéis. Tes nerfs sont retombés dans leur enfance ; ils ne possèdent aucune vigueur.

Ferdinand.

En effet ; mes forces sont toutes enchaînées comme dans un songe. La perte de mon père, cette faiblesse que je sens, le naufrage de tous mes amis, et les menaces de cet homme par qui je me vois subjugué, me seraient des peines légères, si, seulement une fois