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ACTE I, SCÈNE I.

premier citoyen.—Et quand je ne le pourrais pas, je ne serais pas stérile en accusations : il a tant de défauts que je me fatiguerais à les énumérer. (Des cris se font entendre dans l’intérieur.) Que veulent dire ces cris ? L’autre partie de la ville se soulève ; et nous, nous nous amusons ici à bavarder. Au Capitole !

tous.—Allons, allons.

premier citoyen.—Doucement ! —Qui s’avance vers nous ?

(Survient Ménénius Agrippa.)

second citoyen.—Le digne Ménénius Agrippa, un homme qui a toujours aimé le peuple.

premier citoyen.—Oui, oui, il est assez brave homme ! Plût aux dieux que tout le reste fût comme lui !

ménénius.—Quel projet avez-vous donc en tête, mes concitoyens ? Où allez-vous avec ces bâtons et ces massues ? — De quoi s’agit-il, dites, je vous prie ?

second citoyen.—Nos projets ne sont pas inconnus au sénat ; depuis quinze jours il a vent de ce que nous voulons : il va le voir aujourd’hui par nos actes. Il dit que les pauvres solliciteurs ont de bons poumons : il verra que nous avons de bons bras aussi.

ménénius.—Quoi ! mes bons amis, mes honnêtes voisins, voulez-vous donc vous perdre vous-mêmes ?

second citoyen.—Nous ne le pouvons pas, nous sommes déjà perdus.

ménénius.—Mes amis, je vous déclare que les patriciens ont pour vous les soins les plus charitables.—Le besoin vous presse ; vous souffrez dans cette disette : mais vous feriez aussi bien de menacer le ciel de vos bâtons, que de les lever contre le sénat de Rome dont les destins suivront leur cours, et briseraient devant eux dix mille chaînes plus fortes que celles dont vous pourrez jamais l’enlacer. Quant à cette disette, ce ne sont pas les patriciens, ce sont les dieux qui en sont les auteurs : ce sont vos prières, et non vos armes qui peuvent vous secourir. Hélas ! vos malheurs vous entraînent à des malheurs plus grands. Vous insultez ceux qui tiennent le gouvernail de l’État, ceux qui ont pour vous des soins