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ACTE I, SCÈNE I.

mettent aux lois, et à blasphémer contre la justice qu’on lui rend. Quiconque mérite la grandeur, mérite votre haine. Vos affections ressemblent au goût d’un malade, dont les désirs se portent sur tout ce qui peut augmenter son mal. S’appuyer sur votre faveur, c’est nager avec des nageoires de plomb, c’est vouloir trancher le chêne avec des roseaux. Allez vous faire pendre ! Qu’on se fie à vous ! Chaque minute vous voit changer de résolution, appeler grand l’homme qui naguère était l’objet de votre haine, et donner le nom d’infâme à celui que vous nommiez votre couronne ! —Quelle est donc la cause qui vous fait élever, des différents quartiers de la ville, ces clameurs séditieuses contre l’auguste sénat ? Lui seul, sous les auspices des dieux, vous tient en respect : sans lui, vous vous dévoreriez les uns les autres.—Que cherchent-ils ?

ménénius.—Du blé taxé à leur prix, et ils disent que les magasins de Rome sont pleins !

marcius.—Qu’ils aillent se faire pendre ! Ils disent ! Quoi ! ils se tiendront assis au coin de leur feu, et prétendront savoir ce qui se fait au Capitole ! juger quel est celui qui peut s’élever, celui qui prospère et celui qui décline, soutenir les factions, arranger des mariages imaginaires, dire que tel parti est fort, et mettre sous leurs souliers de savetier ceux qui ne sont pas à leur gré ! Ils disent que le blé ne manque pas !… Si la noblesse mettait un terme à sa pitié, et si elle laissait agir mon épée, je ferais une carrière pour enterrer des milliers de ces esclaves, et leurs cadavres s’entasseraient jusqu’à la hauteur de ma lance.

ménénius.—Mais les voilà, je crois, à peu près persuadés ; car bien qu’ils manquent abondamment de discrétion, ils se retirent lâchement.—Que dit, je vous prie, l’autre troupe ?

marcius.—Elle est dispersée. Qu’ils aillent se faire pendre ! ils disaient que la faim les pressait, et nous étourdissaient de proverbes : La faim brise les pierres ; il faut nourrir son chien ; la viande est faite pour être mangée ; les dieux ne font pas croître le blé seulement pour les riches.